Javier Bardem porte Un bon patron sur ses épaules, livrant une prestation délectable au sein d'un film qui est loin d'être mémorable.
Julio Blanco (Bardem) est un chef d'entreprise charismatique. Il se conduit envers ses employés comme un bon père de famille. Surtout cette semaine, où il a besoin de la coopération de tous et de toutes afin d'impressionner une commission. Rien ne se déroule comme prévu et il devra rapidement trouver des solutions pour ne pas boire la tasse...
Le cinéma a souvent exploré le monde du travail. Ken Loach s'en est d'ailleurs fait une spécialité. Troquant le registre réaliste pour mordre dans la satire et l'ironie, le scénario proposé par Fernando Leon de Aranoa ne manque pas de cynisme et d'humour noir. Le tout débute par un discours enflammé du patron à ses employés sur la justice et l'équité... alors qu'évidemment, le boss paternaliste ne manquera pas de renier ses belles paroles et promesses. La moralité en prend donc pour son rhume et l'individualité aura préséance sur le collectif.
Le script politique et humain est parsemé de dialogues forts et de métaphores éclairantes, dont une sur les balances, l'instrument de vente de l'entreprise. On se permet même de citer un philosophe au passage. Cela ne rend pas l'ensemble plus profond tant les changements de tons et de registres sont mal assumés. Même s'il n'est pas spécialement long (deux heures), le récit traîne en longueur et s'éternise considérablement. Le grand responsable est la narrativité, particulièrement répétitive, qui reprend les trois mêmes schémas du début jusqu'à la fin. Si notre (anti)héros n'est pas en train d'aider un ami et subalterne qui a des problèmes de couple, il cherche un moyen pour se débarrasser d'un ancien employé qui manifeste devant l'usine ou pour séduire une stagiaire. La construction est si mécanique qu'elle aseptise les moindres surprises ou discours probants (sur les classes sociales et le patriarcat, notamment).
Cela n'enlève rien à Javier Bardem, particulièrement brillant dans le rôle-titre. L'acteur est hilarant en figure d'autorité, lui qui se révèle très différent dans la sphère publique et privée. Son humanité se résorbe pour mieux laisser son hypocrisie triompher. Le comédien utilise tout son corps pour exprimer son dédain envers les autres. Il faut possiblement remonter jusqu'à Biutiful pour le voir aussi impliqué dans un projet, même si ce nouveau personnage est beaucoup plus léger et caricatural. L'inoubliable méchant de No Country For Old Men est entouré d'interprètes chevronnés qui servent trop souvent de faire-valoir tant les rôles secondaires manquent d'épaisseur.
Cinéaste ultra doué (on lui doit les très sentis Barrio, Les lundis au soleil et Princesas), Fernando Leon de Aranoa a perdu un peu de sa superbe depuis le joli et inabouti Amador en 2010. A Perfect Day qui mettait en vedette Benicio del Toro et Tim Robbins manquait de finition et de munitions humoristiques, alors que Pablo Escobar qui rassemblait le couple mythique formé de Javier Bardem et Penélope Cruz croulait sous les clichés. Il offre cette fois un travail plus inspiré, même si sa mise en scène demeure limitée et pas toujours imaginative.
Gagnant de six Goyas - l'équivalent des Oscars espagnols - dont celui du meilleur film (à la barbe du supérieur Mères parallèles de Pedro Almodovar), Un bon patron fait figure de divertissement honorable, drôle et caustique à ses heures, qui à défaut d'être réellement enlevant et marquant, explore des thèmes essentiels en permettant à Javier Bardem de s'amuser beaucoup.