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Capitalisme sauvage.
Stéphane Brizé a commencé sa carrière avec un cinéma léger orienté sur la comédie dramatique ou la petite chronique sympathique (« Le bleu des villes », « Je ne suis pas là pour être aimé », ...) puis s’est tourné vers le drame (le magnifique « Quelques heures de printemps » sur l’aide à la fin de vie) avant de concentrer son œuvre vers le cinéma social avec le succès de « La Loi du marché » (prix d’interprétation masculine pour Vincent Lindon à Cannes). Puis vient « En guerre », encore avec Lindon, qui semble être devenu le double à l’écran du cinéaste. En effet, Brizé clôt ce qui semble être une trilogie contre le capitalisme sauvage et galopant qui dévore nos sociétés dites développées et enrôle une nouvelle fois son acteur fétiche. Il boucle ainsi avec maestria son œuvre profondément engagée. Et un cinéma de gauche, peu importe nos opinions, aussi concis, intense et démonstratif, le cinéma tricolore n’en avait pas de si bel exemple à l’heure actuelle. On tient donc notre Ken Loach français. Et si son cinéma rugueux et âpre pourra déplaire aux adeptes d’un cinéma soft et divertissant, il prendra aux tripes ceux qui sont ouverts à du septième art fort, avec un message intelligent et nécessaire. « Un autre monde » n’est cependant pas dénué de défauts. Brizé et ses images en plans serrés sur les acteurs, images qu’il ne cherche jamais à embellir, ne flatte pas le spectateur. Au contraire, il lui en demande beaucoup, mais ce côté austère colle au sujet.
On n’adhère fortement au sujet central du film, en l’occurrence l’énième plan social qu’un directeur doit mener au sein de son site en dépit de sa désapprobation grandissante avec les pratiques de sa compagnie. Documenté, ultra réaliste et mené par des joutes verbales intenses, le film prend aux tripes. Tantôt avec ses employés méfiants au sein de son usine, tantôt avec la direction nationale impitoyable (incarnée par l’ancienne présentatrice du journal télévisé, une Marie Drucker épatante), tantôt avec ses homologues français ou même avec la direction américaine, les dialogues en forme d’échanges sociaux, naturels et fluides, passionnent pour qui goûte à ce type de problèmes. En revanche, la partie vie privée est moins intéressante (le divorce avec sa femme) voire pertinente (la partie avec le fils joué par Anthony Bajon en psychiatrie est plus que dispensable). On comprend que Brizé a voulu montrer l’incidence du travail de ce père de famille dans sa vie privée mais elle occupe trop de place et on aurait préféré plus de séquences en entreprise à la place. On suit « Un autre monde » pourtant sans ennui, collé et captivé par les questionnements moraux du personnage de Lindon. Celui-ci est d’ailleurs encore incroyable et rares sont les comédiens à faire passer autant de choses juste par le regard et les gestes. La scène où il a les larmes aux yeux lors de la vente de la maison conjugale est déchirante. Simple, avec une belle et sobre musique par-dessus et il n’en faut pas plus pour être touché en plein cœur. Idem pour la dernière scène d’une épure parfaite et lourde de sens. On a parfois l’impression d’être dans un thriller tellement on se met à la place de ce protagoniste tiraillé entre sa carrière et la morale. En tout cas, Brizé signe un troisième film aussi important que les deux précédents pour une trilogie d’une cohérence incontestable, même si « En guerre » reste le plus fort des trois.
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