Même s'il est plus connu comme acteur, Robin Aubert a toujours eu la réalisation dans le sang. À l'instar de Denis Côté, il alterne entre des projets accessibles (Saints-Martyrs-des-damnés, À l'origine d'un cri) et de véritables laboratoires (À quelle heure le train pour nulle part). En attendant de découvrir son film de zombies Les affamés plus tard cette année, place à son éminemment personnel Tuktuq.
Ce deuxième volet de sa « pentalogie des cinq continents » se déroule au Nunavik, alors qu'un caméraman (Aubert) doit y tourner des images d'archives. C'est la quête d'un univers nouveau pour cet individu qui, à l'instar de l'héroïne d'Iqaluit, apprendra à créer des liens. Pourquoi parler si le silence est si éloquent? Cet étranger devient peu à peu l'ami silencieux d'une famille inuit qui l'initiera à ses moeurs et coutumes. Les plans fixes découpés minutieusement favorisent l'observation de l'être humain, mais aussi de la nature. Une photographie forte et évocatrice dans un style documentaire et réaliste que peut affectionner le cinéaste autrichien Ulrich Seidl, malaises en moins.
Notre protagoniste n'est cependant pas là par hasard. Il cherche à se ressourcer, à remettre ses idées en ordre et à reconnecter avec le monde qui l'entoure. Cela l'oblige à se questionner sur des thèmes essentiels tels l'identité, l'engagement et la difficulté de changer la société et les mentalités pour améliorer l'état des choses. Des interrogations en voix hors champ ou au téléphone où les mots gauches sont parfois ampoulés. La beauté du geste éclipse toutefois ce faux pas haut la main. Surtout lorsque les phrases sortent de la bouche de Robin Aubert, qui semble avoir vécu toutes les souffrances.
C'est pourtant politiquement que Tuktuq risque de faire le plus réagir. Le personnage principal qui avait soif d'éloignement, de solitude et d'un emploi bien rémunéré s'est fait manipuler par le gouvernement au pouvoir, qui n'aspire qu'à exproprier la population locale au profit d'exploitations minières. Les dialogues de sourds kafkaïens entre le héros dépassé par les événements et un sous-ministre apportent un humour désespéré qui fait mouche chaque fois. La satire n'est peut-être pas toujours subtile, sauf qu'elle s'avère terriblement efficace et étonnamment près de la réalité. Et qui de mieux pour « incarner » le méchant cynique que Robert Morin? Même si on n'entend que sa voix, le metteur en scène est génial dans ce rôle qui fait écho à sa propre démarche artistique.
Modeste et authentique, poétique sans jamais se détourner des préoccupations de tous les jours, Tuktuq est un agréable voyage mélancolique peuplé de fantômes et de possibilités. Il faudra le saisir avant qu'il ne disparaisse. Comme quoi avec peu de budget mais beaucoup d'audace, de rage au coeur et de détermination, on peut en dire davantage que des productions à plusieurs millions de dollars.