Le film Tu te souviendras de moi représente un cas de figure bien particulier, une situation que nous n'avions jamais vu (et que nous ne reverrons jamais, espérons-le) dans l'histoire du cinéma québécois. Le drame d'Éric Tessier devait prendre l'affiche en mars 2020, puis la pandémie a frappé. La sortie a alors été repoussée à une date ultérieure. Ce qu'on ignorait à ce moment-là, c'est à quel point l'ultérieur serait lointain. Ce n'est pas moins de deux ans et demi plus tard que le long métrage arrive enfin dans les salles, toujours convoyé par un sujet délicat et (tristement) rassembleur, l'Alzheimer. On connaît tous quelqu'un, de proche ou de loin, qui a souffert de cette terrible maladie, et on peut tous, intimement ou vaguement, s'identifier à l'entourage du protagoniste de cette histoire.
On suit Édouard, un professeur d'histoire émérite et caractériel, qui voit sa mémoire défaillir au fil des saisons. Sa femme, Madeleine, n'a plus la force de s'en occuper, et sa fille, Isabelle, est trop prise par son travail pour en prendre soin adéquatement. Les deux femmes le confient donc pour un temps à la jeune Bérénice, fille du conjoint d'Isabelle. Édouard et sa nouvelle amie développeront un lien particulier, tellement qu'il en viendra à la prendre pour son autre fille, partie trop tôt, un mensonge que Bérénice choisira d'entretenir pour garder le vieil homme heureux.
Rémy Girard livre une performance époustouflante dans ce rôle complexe. La maladie d'Alzheimer n'est pas simple à dépeindre. On ne veut pas tomber dans le cliché ni dans la caricature. La juste balance est ardue à atteindre et Girard fait mouche. Sa complicité avec Karelle Tremblay, qui incarne l'impétueuse Bérénice, s'avère être l'une des grandes forces du film. Julie Le Breton se révèle également très touchante sous les traits de la fille désemparée face à la perte d'autonomie de son père.
Le scénario, adapté de la pièce éponyme de François Archambault, s'intéresse autant à l'effritement de la mémoire individuelle que collective. Ses retours dans le temps permettent de rappeler certains moments clés de l'histoire du Québec, dont la défaite du « oui » au référendum de 1980, et de s'interroger du même coup sur l'importance de la commémoration. La musique, trop appuyée par moment, et quelques fioritures inutiles dans la réalisation ternissent parfois la force du message, mais rien de tout cela n'empêchera l'émotion de vous transpercer. La boîte de mouchoirs est à garder à portée de main lors du visionnement de ce film, surtout si vous avez déjà côtoyé l'Alzheimer de près.
Drame accessible et humain, Tu te souviendra de moi mérite qu'on s'y attarde, même si on risque de s'y brûler. Même si ce film québécois n'est pas de la trempe du prodigieux The Father, qui traitait du même sujet, vous ne risquez tout de même pas d'oublier de si tôt l'émotion vive qu'il engendrera chez vous.