Le très, très, très long premier plan de Tu ne sauras jamais, le plus récent long métrage de Robin Aubert, est une épreuve en soi. Pendant plusieurs minutes, le cinéaste québécois recule très, très, très lentement sa caméra en partant d'un mur, révélant petit à petit la chambre qu'habite Paul Vincent (Martin Nault) dans une résidence pour personnes âgées.
L'homme d'un âge vénérable se réveille tranquillement, ses lamentations accompagnent le moindre de ses mouvements, tandis que son corps se remet en marche. C'est le début d'une autre longue journée pour le résident, forcé à l'isolement entre les quatre murs de sa chambre en raison de la pandémie de COVID-19.
Lors des rares visites effectuées par les préposés masqués et protégés de la tête aux pieds, Paul tente d'obtenir des nouvelles de son amoureuse, qui a été transférée quelques étages plus haut.
Tu ne sauras jamais est tout sauf une proposition facile. Il s'agit d'un geste artistique délibéré, frontal, posé sans demi-mesure, par l'entremise duquel Robin Aubert et Julie Roy nous confrontent à une réalité dont nous avons, certes, énormément entendu parler durant les premières vagues de la pandémie, mais qui demeurait abstraite malgré tout.
La solitude, la lenteur extrême du quotidien, la même vue, jour après jour, sur les mêmes objets immobiles et devenus trop familiers, les repas parfois oubliés, le café froid, le manque de chaleur humaine... Et, surtout, une totale impuissance face à l'ensemble de cette situation.
À travers les murs, Paul entend sa voisine s'époumoner à tenter de combattre le virus. À l'extérieur, les cadavres de résidents tombés au combat s'empilent, tout comme leurs effets personnels.
Par le biais de longs plans et de cadrages on ne peut plus statiques, Robin Aubert témoigne parfaitement de la langueur et des limitations de cet homme laissé à lui-même, incarné de façon aussi touchante qu'authentique par l'acteur non professionnel Martin Nault.
Les séquences du déjeuner et du changement de couche révèlent particulièrement le personnage dans toute sa fragilité et sa vulnérabilité, à travers des plans fixes qui ne manquent pas non plus de rendre pesant tout le poids de cette normalité.
Les gestes de Paul sont captés par la caméra d'Aubert avec toute la patience et l'empathie voulues, à l'intérieur d'une mise en situation flirtant aussi - un peu malgré elle - avec celle d'un drame carcéral.
Le moment où l'approche visuelle du cinéaste sort de sa torpeur réaliste, et que les éclairages plus sombres et travaillés flirtent soudainement avec ceux de la fiction, est aussi très évocateur, marquant la décision du protagoniste de finalement passer à l'action, de prendre son courage à deux mains, et de retrouver l'élue de son coeur dont il a été injustement séparé.
La résidence prend subitement les traits d'une tour bien gardée, dont les paliers doivent être gravis un à un, et au sommet de laquelle se trouve la belle de Paul qui n'attend que d'être enlacée - peut-être pour la dernière fois.
Le plus troublant avec Tu ne sauras jamais, c'est que bien que le film se déroule durant la pandémie, le scénario de Robin Aubert et Julie Roy fonctionnerait tout aussi bien s'il n'en faisait jamais mention.
Car au bout du compte, qu'est-ce qui a vraiment changé depuis que la vie a repris son cours normal? Depuis que nous avons pris toutes ces bonnes résolutions de prendre un pas de recul, et davantage de temps pour veiller les uns sur les autres?
Le constat est certainement confrontant. Mais il est parfois nécessaire de se faire mettre le nez un peu dans la m... pour nous rappeler qu'elle existe. À cet égard, Tu ne sauras jamais frappe fort, et dans le mille.