Au rayon des longs métrages qui démangent physiquement, il ne se fait guère mieux que You Were Never Really Here. Tout est annoncé dès le fabuleux générique avec cet homme qui s'asphyxie volontairement et une photo dévorée par le feu. On aura droit à un film brûlant d'intensité, qui coupera le souffle pendant près d'une heure et demie. L'opus a remporté le prix d'interprétation masculine et celui du scénario à Cannes l'année dernière et ce n'est pas un hasard.
Notre protagoniste, campé à la perfection par Joaquin Phoenix, pourrait être la progéniture de Travis Bickle, antihéros par excellence de Taxi Driver. Une carcasse usée, paranoïaque et dévorée par ses démons, qui s'adonne à des activités louches pour se faire un peu d'argent. S'il aime bien faire couler le sang avec son marteau, il représente le fils idéal auprès de sa vieille mère. Un contrat inattendu afin de retrouver une adolescente risque toutefois de bouleverser complètement son quotidien.
Réalisatrice d'inestimables joyaux atypiques comme We Need to Talk About Kevin, Morvern Callar et Ratcatcher, l'Écossaise Lynne Ramsay se dépasse avec cette véritable descente en enfer (c'est adapté d'un roman), alors que sa mise en scène anxiogène épouse les désarrois du personnage principal. Un sidérant jeu visuel et sonore qui fait vibrer New York comme jamais, allant encore plus loin que le récent et excellent Good Time. Les symboles, de presque tous les plans, confèrent une étrangeté certaine à cette odyssée hors du commun, entre noirceur humaine et poésie, dont la maîtrise du langage cinématographique laisse sans voix. Surtout que le compositeur Jonny Greenwood propose une autre trame sonore - angoissante à souhait - dont il a seul le secret, et qui rivalise presque avec celle de There Will be Blood.
Avec sa grande violence, ses clins d'oeil aux suspenses coréens et sa volonté évidente de brouiller les pistes, You Were Never Really Here passe bien près de la complaisance. Alors que la classique intrigue principale semble se perdre dans le film noir, le thriller politique et celui de vengeance avec ses invraisemblances (quelque part entre Michael Mann et Nicolas Winding Refn), l'ensemble est pourtant bien plus subtil qu'il n'y paraît. Le récit ponctué d'ellipses vers différentes formes de passés agit comme un électrochoc. Les traumatismes liés à l'enfance et à la guerre sont les véritables vecteurs des événements. Tout ce qui se passe peut être réévalué d'un point de vue psychologique, obligeant le cinéphile, médusé, à non seulement décoder et recoller ce qui est arrivé, mais à trancher entre les faits et les chimères, le réel et la folie. Ce qu'une bonne dose d'humour noir vient déséquilibrer encore davantage, rappelant que la société possède sa part de responsabilités en ne se souciant guère de ses membres solitaires qui ont besoin d'aide.
Cette puissante métaphore devient ici un cauchemar insoutenable qui fait battre le coeur encore et encore. Tout est combiné pour rendre mal à l'aise et l'incroyable Joaquin Phoenix vient rajouter son grain de sel avec une performance qui mérite haut la main un Oscar. Il ne l'aura pas, évidemment, car le film, sombre et malsain, est trop tordu. Cela ne l'empêchera pas de figurer dans notre palmarès de fin d'année tant ces expériences viscérales sont trop rares.