Entre les rires et les larmes, Trois fois rien refuse de choisir, développant une intrigue particulièrement inégale qui n'éclaire jamais la riche thématique en place.
Le film débute comme un conte de fées, alors qu'une large somme d'argent gagnée à la loterie pourrait sortir Brindille (Antoine Bertrand), Casquette (Philippe Rebbot) et La Flèche (Côme Levin) de la rue. La réalité s'avère beaucoup plus compliquée...
D'un sujet plus que jamais nécessaire à aborder (le quotidien des itinérants et leur difficile réintégration au monde dit normal), la cinéaste et scénariste Nadège Loiseau a tiré un drôle d'objet. Inconséquente dans sa première partie, la farce semble mener le bal. Ce n'est pas parce qu'on est devant des thèmes sérieux qu'il ne faut pas les développer avec légèreté. Ce n'est cependant pas une raison de tout traiter avec dérision, au détour de situations grossières et répétitives.
Combien de fois fera-t-on appel au chien Connard parce que son prénom peut porter à confusion? Ou nommera-t-on un des protagonistes par son nom de famille, Courtebez, en insistant sur la lettre Z, qui s'entend alors Courte Baise? Trop souvent. Tout est prétextes à des gags qui tombent à l'eau, de ce type qui hurle inlassablement au loup à ces incessants échanges d'accents, coproduction oblige. Sorti il y a 90 ans, Boudu sauvé des eaux de Jean Renoir comportait une charge comique beaucoup plus réussie tout en naviguant dans les mêmes eaux de la précarité.
Pourtant un petit miracle survient à mi-chemin. Lors d'un souper entre amis, les masques tombent et la gravité apparaît. C'est là que le long métrage débute enfin et que les personnages caricaturaux peuvent exister. Peut-être pas La Flèche, unidimensionnel jusqu'à la fin et cabotinant par Côme Levin. Mais certainement les deux autres. Avec son gilet rayé, sa faculté à rêver beaucoup et à se réveiller soudainement un peu partout en faisant peur à son entourage, Casquette a tout de l'inoffensif Freddy Krueger sans domicile fixe. Un être énigmatique que défend avec une belle sensibilité Philippe Rebbot. Puis il y a notre Antoine Bertrand national, touchant en nounours qui cache son passé, trouvant enfin un rôle à sa mesure.
Ce trio fonctionne parce qu'il était déjà réuni dans le précédent essai de la réalisatrice, Le petit locataire, une comédie sympathique, mais vite oubliée qui devait beaucoup à Karin Viard (qui apparaît ici dans un caméo totalement inutile). En voulant leur laisser toute la place, Nadège Loiseau aseptise quelque peu sa mise en scène jusqu'à la rendre peut-être pas inopérante, mais beaucoup moins conséquente. Au moins, un vent de solidarité ressort de la musique, sous le signe de la fanfare, dont les échos évoquent en mode mineur ceux des opus d'Emir Kusturica.
Bien qu'empathique, la production a toutefois tendance à prêcher par excès. Si ce n'est pas dans le registre humoristique, c'est dans le dramatique. Non content d'avoir enfin palpé une certaine profondeur salvatrice, le scénario entre tête première dans le mélo, s'y complaisant lors d'une finale manipulatrice et lacrymale. N'est pas Frank Capra qui veut.
C'est le manque flagrant d'équilibre dans la disposition des émotions qui handicape Trois fois rien. Tout vient en bloc, rien n'y est véritablement nuancé. Déjà que l'effort a tendance à aborder superficiellement le quotidien de ses héros qui forment une véritable famille reconstituée, faisant triompher l'anecdote au détriment de l'essentiel. Encore là, les références de qualité ne manquaient pas. Pensons seulement à l'animation Tokyo Godfathers de Satoshi Kon, modèle d'humanisme sur un trio coloré de SDF qui faisaient passer le cinéphile des rires aux larmes avec intelligence et efficacité. Tout le contraire de cette esquisse grossièrement dessinée, heureusement vivifiée par l'apport de deux de ses talentueux comédiens.