À plusieurs égards, Tous toqués! avait tout ce qu'il faut sur papier pour faire un très bon Conte pour tous.
Malheureusement, en suivant d'un peu trop près la doctrine en cuisine stipulant qu'on ne fait pas de gaspillage, la réalisatrice Manon Briand présente un plat sans structure ni finesse, qui s'éparpille et déborde de tous les côtés de l'assiette, quand l'ensemble exigeait pourtant de garder les choses simples.
Sonia (Julie Le Breton) est douanière dans un petit village frontalier du Québec. Lorsque sa fille Lili-Beth (Élodie Fontaine) s'inscrit au concours des Petits Chefs, la mère monoparentale craint que sa progéniture ne soit de nouveau victime d'intimidation, elle qui, par-dessus le marché, n'a aucune expérience en cuisine.
Comme le hasard fait bien les choses, Sonia se souvient alors de Victor (Édouard Baer), un chef français vivant à New York qu'elle a récemment contrôlé, et réussit, contre toute attente, à le convaincre d'enseigner les rudiments de la cuisine à Lili-Beth, et de lui apprendre à préparer un plat qui pourrait lui permettre de l'emporter.
Lorsque la recette pratiquée par la jeune fille se révèle un véritable délice, tous les habitants - d'abord réticents à l'idée d'aider Sonia en raison de l'inflexibilité dont elle fait preuve dans l'exercice de ses fonctions qui leur a souvent compliqué la vie - se rangent derrière la nouvelle coqueluche et fierté de la région.
Comme c'était le cas dans son précédent Liverpool, Manon Briand accumule ici les pistes narratives et les sous-intrigues de manière gourmande, mais sans apprêter convenablement aucune d'entre elles.
Il est question de cuisine (évidemment), de tradition, de terroir, d'intimidation, de l'importance de l'achat local (même si les producteurs du village sont d'abord antagonisés par le scénario), de liens familiaux, de confiance brisée, d'anxiété de performance, de legs, de difficultés financières, de traumas du passé, etc. Tout cela sans parler de l'inévitable romance prenant forme entre les deux têtes d'affiche, dont l'investissement dramatique ne va guère plus loin qu'une autre case à cocher sur une (trop) longue liste d'éléments à traiter.
Tous ces ingrédients sont ajoutés mécaniquement dans une grande casserole, les différentes saveurs s'annulant progressivement les unes les autres durant la cuisson au lieu de se complémenter.
Déjà, le personnage de Lili-Beth aurait dû être un peu plus central au récit, mais la petite histoire de la gamine finit par être reléguée au second plan pour laisser davantage de place à Édouard Baer.
Ce dernier est définitivement la pièce maîtresse qui permet au long métrage de tenir un tant soit peu la route, incarnant avec une chaleur humaine et une passion contagieuse pour son art un chef dont la constante quête de perfection a jadis mené au déclin.
Baer était assurément une belle prise pour la production... avant que ce dernier ne soit visé, ce printemps, par des allégations d'inconduites sexuelles, l'empêchant à présent de faire la promotion du film.
Et la production ne cache jamais non plus les ambitions qu'elle pouvait avoir à l'international.
Une volonté confirmée dans le dernier tiers, durant la séquence devant mener à la compétition. En ce sens, un nombre assez limité de cinéphiles québécois risquent d'être confondus par l'ébahissement des supporters de Lili-Beth à la simple vue de la structure du Stade olympique, et par l'idée que ladite compétition ait lieu à l'intérieur du Biodôme.
Heureusement, ni loutre ni manchot ne semblent avoir été utilisés au passage comme base pour la recette d'un des apprentis chefs.
La plupart de ces faux pas auraient pu être plus facilement excusés si le résultat final avait été moindrement drôle, touchant et/ou captivant, si la mise en scène avait été un tant soit peu punchée, si les personnages et les enjeux dramatiques avaient eu un peu plus de relief, et si le scénario dans son ensemble avait tout simplement été un peu plus épuré.
Surtout, à aucun moment Tous toqués! ne parvient à nous mettre l'eau à la bouche ou à nous donner le goût de nous installer à notre tour aux fourneaux. Pour un film tournant autour de l'art culinaire, il s'agit d'une faute incommensurable.