Pour Xavier Dolan, Tom à la ferme marque certainement un changement de ton. Après J'ai tué ma mère, Les amours imaginaires et Laurence Anyways, le jeune réalisateur et acteur québécois s'éloigne de l'amalgame stylistique qu'il proposait autour de ses récits (quoiqu'il a toujours été éminemment cinématographique, et qu'il le reste) pour emprunter la voie du thriller psychologique et poétique. C'est ce qui séduit le plus dans ce nouveau film : la cohérence globale, à travers une foule de savantes utilisations du langage cinématographique.
Ces détails - des dialogues, des plans, un montage dynamique - démontrent une très grande maîtrise; le récit est habilement construit autour d'un malaise psychologique prenant, donnant lieu à une relation malsaine dangereusement plausible et souvent renouvelée. L'étrange attirance qu'a Tom pour son bourreau est installée dans un contexte cinématographique véritablement prenant, et la réalisation inspirée de Dolan, par ses plans parfois larges et grandioses et parfois serrés et scrutateurs, contribue à installer un climat d'étrangeté, à placer cette ferme où se joue le drame en dehors du monde. Un sentiment de malaise qui atteint son paroxysme dans une séquence bouleversante de tango, où méchanceté et grâce se mélangent.
Les dialogues, finement écrits, laissent transparaître d'étranges moments d'humour qui rendent d'autant plus tragique cette histoire de deuil et qui soulignent surtout le grand talent des comédiens. Dans le rôle central, Dolan est vif, intérieur, précis, tandis que Pierre-Yves Cardinal représente une force physique complètement à l'opposé. Lise Roy maintient une fine ligne entre émotion et mélo (il est grand temps que cette actrice soit reconnue à sa juste valeur) tandis qu'Evelyne Brochu arrive en fin de course avec une tout autre sensibilité. Incroyable qu'autant d'acteurs dans autant de tons différents parviennent à former un tout cohérent.
Le récit, par sa nature même, propose un thriller psychologique enivrant, une tension étouffante, mais aussi une poésie visuelle construite grâce à une direction-photo exceptionnelle signée André Turpin. La direction artistique marquée et la musique contribuent aussi. Une courte scène, mettant en vedette Manuel Tadros en barman, est en quelque sorte la quintessence de ce phénomène; ce récit dans le récit, brillamment mis en scène (et monté), bouleverse et impressionne à la fois par la maîtrise des éléments du cinéma.
Tom à la ferme est une réussite car le film remplit ses promesses. Xavier Dolan propose un récit imprévisible aux sensibilités et aux émotions complexes (ce qui ne veut pas dire compliqué ou inaccessible) en plus de mettre en scène des comédiens en pleine possession de leurs moyens. C'est une expérience fascinante, menée de main de maître et bien rythmée, qui se vit pleinement, qui étonne et qui séduit.