Peut-être bien la Palme d'Or la plus surprenante de l'histoire, Titane est une expérience cinématographique foudroyante. À essayer à ses risques et périls.
Il faut de l'audace à revendre pour accoucher d'un tel film. À partir d'une prémisse farfelue - une femme devient enceinte d'une voiture! -, la cinéaste française Julia Ducournau propose une oeuvre forte et vigoureuse, encore plus ambitieuse que son précédent Grave qui plongeait dans le quotidien d'une étudiante cannibale.
Encore une fois, le genre est utilisé à des sauces métaphoriques. La grande violence graphique, horrifique et presque sarcastique de la première demi-heure (sorte de giallo remis au goût du jour) cède sa place à une réflexion sur le corps en métamorphose, transformé par une grossesse ou le passage du temps. D'un plan séquence lubrique et dégradant se déroulant pendant un salon automobile, la notion d'identité et de sexe évolue et s'estompe, ne faisant plus de distinction entre le masculin et le féminin.
L'intérêt réside ailleurs. En présentant deux monstres grotesques qui souffrent chacun de leur côté, le scénario permet de les réunir. Une action qui amène amour et réconfort. Le laid se transforme soudainement en beau au détour de séquences souvent incroyables, jusqu'à une conclusion tendrement émouvante. Non, on ne verra plus jamais les relations père/fille de la même manière.
L'exploit est d'autant plus grand que Titane n'est pas une création aimable, loin de là. Son parfum est sordide, trash et gorgé de fluides, déroutant constamment, apparaissant là où on ne l'attend pas. Une excellente nouvelle pour un cinéphile plus aventureux et une source inépuisable de plaisir si le spectateur s'assoit dans le fond de la salle et qu'il se met à compter les gens qui sortent avant la fin!
Peu importe sa prédisposition à ce type de spectacle intense, on ne peut qu'admirer la dévotion sans borne d'Agathe Rousselle qui s'investit corps et âme. Elle est l'étincelle du projet, sa bougie d'allumage et son jeu incendiaire cadre parfaitement avec celui éploré de Vincent Lindon qui ose sortir de sa zone de confort. Les deux s'attisent allègrement, faisant tout souffler sur leur passage.
Léchée et stylisée, pouvant compter sur un travail sonore de haut calibre, la réalisation esthétisante ne manque pas de happer physiquement même si le rythme n'est pas toujours au point. Démarrant sur les chapeaux de roues, l'ensemble finit par manquer de gaz et tomber au neutre, bien que plusieurs moments forts reconduisent aisément l'impact et l'intérêt, le plus mémorable étant sans doute une scène de danse nappée dans les mélodies de Future Islands.
Évidemment Julia Ducournau ne révolutionne pas la roue. Il s'agit seulement de son second long métrage et on reconnaît clairement ses influences, principalement celles de David Cronenberg (toute sa filmographie et principalement Crash). Une filiation peut même s'effectuer avec le plus ludique King Car de Renata Pinheiro, qui était de la dernière édition de Fantasia. Pas surprenant de retrouver également le cinéaste Bertrand Bonello dans le rôle du père de la protagoniste tant leurs univers respectifs convergent. Le script ne se veut pas toujours très subtil et sa finale biblique en fera sourciller plus d'un.
Mais c'est justement pour cette surenchère de thèmes et de propositions que Titane mérite d'être vu. Enfin du cinéma, du vrai, ample et généreux, viscéral et voluptueux, qui ne fait aucune concession. Il ne faut seulement pas avoir d'attentes démesurées qui finissent forcément par fausser la donne - on est loin de la quasi-perfection de Parasite - et apprécier le choc à sa juste valeur.