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Un grand film sur notre monde tourmenté
Certains voient The Old Oak comme le film d’un cinéaste de 87 ans dont le meilleur est derrière lui. Ce n’est pas mon cas. Je considère au contraire cet opus, le dernier peut-être d’une œuvre immense, comme un grand film.
Il faut du génie pour parvenir à recréer dans un village du nord-est de l’Angleterre un film si révélateur de notre monde tourmenté. C’est ce qu’ont réussi le réalisateur Ken Loach et son scénariste Paul Laverty. D’un côté, des habitants d’un village jadis prospère, aujourd’hui dévasté par le capitalisme sauvage de Margaret Thatcher et la mondialisation néo-libérale. De l’autre, des familles syriennes chassées de leur pays par la guerre impitoyable de Bachar el-Assad pour se maintenir au pouvoir.
Les deux misères s’arriment mal. C’est d’ailleurs sur de telles frictions, là comme ailleurs, que se développe l’extrême droite. « Il y avait deux communautés vivant l’une à côté de l’autre et souffrant de graves problèmes, a confié Loach. Mais l’une avait subi un traumatisme, pleurait ses morts et s’inquiétait pour ceux restés sur place. Ils étaient étrangers dans un pays qu’ils ne connaissaient pas. »
Est-ce que ces deux communautés de laissés-pour-compte peuvent cohabiter ? s’est demandé le cinéaste. Au début, c’est loin d’être évident. Pendant un bon moment, j’ai trouvé ce film très dur. Le racisme décomplexé avec lequel est accueillie cette poignée de familles syriennes déracinées m’était insupportable.
Mais chez Loach, il y a toujours de l’espoir. Le cinéaste et son scénariste ont imaginé deux personnages : TJ Ballantyne, le vieux propriétaire du Old Oak, et Yara, une jeune syrienne, qui vont transformer une partie du pub en cantine solidaire réunissant réfugiés et villageois.
Y a-t-il là trop de bons sentiments ? Par le passé, j’aurais dit oui. Mais je crois maintenant qu’il n’y a jamais trop de bienveillance et d’empathie. Du reste, comme on le verra, le passage de la xénophobie à une nécessaire solidarité ne se fera pas sans heurts.
La réussite du film tient beaucoup à la justesse du jeu. L’expression est d’ailleurs mal choisie, car on a l’impression, justement, que les acteurs ne jouent pas. Selon Allociné, tous les interprètes du film, en dehors des Syriens, sont issus des villages du nord-est de l'Angleterre. « Il fallait qu’ils puissent pousser la porte d’un pub et qu’on les prenne pour des gens du coin », dit le vieux cinéaste. Mission accomplie : en entrant dans le Old Oak en leur compagnie, c’est l’impression que l’on a.
Loach égal à lui-même...
Rares sont les cinéastes à pouvoir se targuer d’une filmographie à la fois aussi longue dans le temps et homogène sur le fond comme sur la forme. Le cinéaste britannique Ken Loach, chantre et porte-parole des classes sociales les plus pauvres, des démunis et des luttes contre les inégalités sociales fait partie de cette catégorie. En plus d’un demi-siècle de carrière derrière la caméra, le metteur en scène n’a pas changé d’un iota sa feuille de route artistique: une réalisation au plus proche du réel, avec souvent des acteurs non professionnels, et toujours des thèmes éminemment sociaux et/ou historiques quasiment toujours en rapport avec son pays natal. Il n’y a qu’à voir ses deux Palmes d’or (et oui il fait partie du club très fermé des doubles récipiendaires de la récompense suprême de Cannes pour s’en convaincre) : d’un côté le film d’époque « Le Vent se lève » sur le combat des irlandais contre l’invasion anglaise et de l’autre le magnifique « Moi, Daniel Blake » sur un homme qui se bat financièrement pour tenir sa famille à flots. Le prolifique réalisateur nous offre ici avec « The Old Oak » un opus certes mineur et empli des défauts les plus récurrents de son auteur sans pour autant être dénué de charme, de coffre et d’émotions.
Ici, il est question d’immigration avec des réfugiés politiques syriens qui débarquent dans un petit village sinistré économiquement du fin fond de l’Angleterre avec les scissions entre les habitants que cela implique, entre réfractaires plus ou moins marqués et habitants plus accueillants comme T.J. le patron du pub qui donne son nom au film. Avec Loach aux commandes d’un tel sujet, il est clair qu’il ne fallait pas s’attendre à un traitement toujours juste et objectif mais plutôt partisan. Et on ne lui en voudra pas, c’est son cheval de bataille tout comme des convictions profondément ancrées en lui. Cette vision empathique, humaniste et pleine d’altruisme des plus malheureux est en effet indissociable de l’indéboulonnable réalisateur. Alors forcément la peinture de ces immigrés pourrait tout aussi bien être réaliste dans le meilleur des cas qu’idéaliste si on lui oppose certaines actualités récentes. De la même manière, il a tendance à enjoliver un peu trop la vie en communauté ou, à l’inverse, à noircir le racisme primaire de ses congénères (quoique...). C’est donc par le biais d’un filtre quelque peu manichéen qu’on suit « The Old Oak », mais c’est aussi une vision pacifiste qui fait du bien malgré le déferlement de pathos final un peu trop poussif.
Cependant, on ne peut nier que Loach est toujours un aussi bon raconteur d’histoires et un excellent directeur de comédiens, notamment ceux amateurs ou non professionnels. Tout transpire le vrai dans ses dialogues, dans les gestes et les situations qu’il met en scène. Et le personnage principal joué par Dave Turner est passionnant. D’ailleurs, le comble dans « The Old Oak » c’est que l’on s’intéresse finalement davantage à celui-ci qu’au propos général du long-métrage. Son portrait d’homme brisé et généreux est impeccablement brossé et on s’attache beaucoup à lui et à son passé. Rien que la scène où il perd son chien nous brise le cœur. On entre donc dans ce film comme on entre dans des chaussons, on sait ce qu’on va voir et la manière dont tout sera dépeint. Il y a bien sûr les scories habituelles de son auteur, cette fois un peu trop marquées, mais aussi tout ce qui fait qu’on l’aime : un cinéma nécessaire, fort et qui défend ceux que l’on n’entend jamais.
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