Steven Soderbergh mène une double carrière; celle, publique, de L'inconnu de Las Vegas et autres succès populaires bourrés de vedettes hollywoodiennes, et une autre, plus académique, plus érudite, qui fait du cinéma pour l'observer de l'intérieur. On se souviendra à ce titre de The Good German, qui pastichait - pour ne pas dire plagiait - Casablanca. Or, ce nouveau film est inscrit dans la deuxième catégorie, même si Sacha Grey est certainement une vedette dans son domaine d'activités.
Chelsea est une prostituée de luxe qui offre un service personnalisé à ses clients. Ces derniers ne paient pas seulement pour du sexe, ils paient pour une expérience complète, une soirée idéale avec une petite amie parfaite. Dans ce monde ultra-compétitif, Chelsea cherche à consolider sa clientèle tandis que son petit ami, qui a accepté son mode de vie, essaie d'améliorer sa position au gymnase où il travaille. Le métier de Chelsea lui fait parfois faire des rencontres bouleversantes.
Il faut envisager le film comme une exploration, il faut examiner chaque scène en elle-même et pas nécessairement par rapport aux autres, comme le fait pourtant habituellement le cinéma. Ce Girlfriend Experience pourrait en fait être toute une série d'esquisses de peintre destinées à être utilisées plus tard dans une plus grande fresque, un long « screen test » visant à essayer des costumes, des éclairages, des cadrages. C'est de l'expérimentation (pas de l'expérimental) et l'impact émotif est donc constamment diminué par l'aspect « laboratoire » de l'ensemble.
L'émotion ainsi diluée ne fonctionne que très rarement; quand même une prostituée expérimentée se sent violée, par exemple, ou lorsqu'on assiste à une scène de ménage filmée avec pudeur et patience. Le montage empêche toute forme de suspense de s'installer, et « l'expérience » spectatorielle est celle du scientifique observant ses souris : on voit les personnages évoluer tout en connaissant leur destin. On s'étonne temporairement de leur succès tout en sachant l'inéluctable fin qui les attend. On a déjà bien plus impliquant, et bien plus stimulant. Si le mot est juste dans ce contexte-ci.
Sacha Grey, d'ailleurs, qui s'est fait une renommée dans le milieu de la pornographie, est une actrice limitée qui a un ou deux moments plus inspirés mais qui est rarement juste. Elle subit plutôt que de vivre, encore curieuse de ce milieu étrange, de ce revers de l'image où se tiennent le réalisateur, les éclairagistes et autres techniciens de plateau. Il faut dire que le scénario ne lui permet que rarement d'exprimer des émotions, ce qui doit quand même être assez ardu à surmonter.
The Girlfriend Experience est donc un film conscient de lui-même, conscient du cinéma. S'il n'était pas signé Soderbergh, on ne le verrait jamais sur les écrans. Oeuvre mineure du cinéaste car elle ne démontre pas une « maîtrise » du cinéma, seulement une « curiosité ». Il faudra en avoir en double pour se lancer inconsidérément dans une salle de cinéma obscure et pour « vivre » l'expérience proposée par Soderbergh.