Connu pour ses puissants documentaires (The Act of Killing est sans doute le documentaire le plus important du XXIe siècle), le réalisateur américain Joshua
Oppenheimer se tourne vers la fiction avec The End, une oeuvre médusante qui se plait à mélanger les genres les plus disparates.
L'apocalypse a décimé l'humanité. Quelques survivants résident sous terre depuis deux décennies. On retrouve notamment un fils (George MacKay) qui vit harmonieusement avec ses parents (Michael Shannon et Tilda Swinton). Lorsqu'une inconnue (Moses Ingram) est retrouvée non loin de chez eux, le fragile équilibre de cette riche famille nucléaire risque d'être rompu à jamais.
À partir d'une prémisse qui n'est pas sans rappeler le grandiose Underground d'Emir Kusturica à la mode science-fiction, le film surprend presque immédiatement... pour le meilleur comme pour le pire. Dès les premières minutes, les rescapés se mettent à chanter leur quotidien et leurs émotions, comme s'ils se retrouvaient chez Jacques Demy ou Christophe Honoré! Une introduction qui laisse complètement béat, charmant par sa fluidité et son ton étonnamment ludique.
Cette énergie ne tarde cependant pas à s'étioler au fil du récit, qui s'échelonne sur 150 longues et redondantes minutes. Les mélodies nombreuses n'ont rien de mémorables, sur le plan de la musique comme des paroles. Elles proviennent pourtant de Joshua Schmidt et de Marius de Vries, ce dernier ayant signé les vibrantes partitions de Moulin Rouge! et de Romeo + Juliet. On se retrouve plutôt devant un musical sucré et irritant dans la lignée de Dear Evan Hansen, airs de flatulences en prime.
La mise en scène d'Oppenheimer a le mérite de laisser de l'espace aux chorégraphies. La photographie de Mikhail Krichman (qui a travaillé sur tous les opus du grand Andreï Zviaguintsev) suit les corps en (dé)coupant le moins possible. La performance prend donc le dessus sur le montage, ce qui est loin d'être le cas de la majorité des longs métrages musicaux contemporains. Dommage que l'ensemble soit si inégal. De sévères répétitions finissent par plomber le rythme, comme si le cinéaste ne savait plus comment donner un second souffle à sa réalisation, qui demeure toujours un peu sur le même ton.
Les acteurs s'amusent toutefois beaucoup dans cette proposition qui sort grandement des sentiers battus. Avec son regard sévère et sa propension à camper des méchants sadiques, Michael Shannon détonne lorsqu'il se met à chanter et à faire des claquettes. Tilda Swinton nous a habitués à ces changements de registres et elle s'avère, comme toujours, excellente. George MacKay s'est complètement réinventé dans la dernière année - en participant à des projets comme La bête et Femme - et il offre un savant mélange de légèreté et de gravité.
Toutes ces séances de danse et de chant sont au service d'une intrigue naïve et prévisible, qui prend évidemment la tangente du récit d'apprentissage classique. Celui où le fils va découvrir le monde qui l'entoure et que ses parents sont loin d'être parfaits, bien au contraire. L'Homme est une bête pour ses semblables et c'est ce qui le mènera à sa perte. Face à cette tragédie familiale de proportion shakespearienne, le scénario d'Oppenheimer et de son collaborateur Rasmus Heisterberg (Liaison royale) rappelle les vertus de l'art et de la catharsis... qui étaient déjà au coeur de The Act of Killing. La présence de l'inconnue amène amour et espoir à un avenir incertain, symbolisant cette peur des gens - et des nations - de s'ouvrir aux autres, puis cette richesse obtenue grâce à la tolérance et au métissage.
The End est une des propositions les plus originales des dernières années. Utiliser les codes de la mélodie musicale afin de parler des effets de la fin du monde! Bien que l'ensemble ne manque pas d'humour et de dérision, gracieuseté de ses formidables interprètes, il n'enchante jamais complètement tant la qualité des numéros musicaux laisse à désirer.