Tetris revient sur l'un des récits d'évasion du bloc communiste les plus célèbres aux côtés de celui des frères Stastny. Plus improbable encore, c'est la façon dont le réalisateur Jon S. Baird a su tirer de cette histoire de propriété intellectuelle, d'avancées technologiques et de tensions sociopolitiques un divertissement entraînant, énergique, et même charmant.
Ces qualités reposent d'emblée sur l'optimisme et la détermination de l'homme d'affaires et programmeur Henk Rogers, interprété par un Taron Egerton qui a visiblement eu beaucoup de plaisir à prendre part au projet.
Tetris croise la route de Rogers lors du CES de Las Vegas, à la fin des années 1980. Il acquiert alors les droits d'exploitation du jeu vidéo soviétique pour le Japon. De fil en aiguille, ce dernier réussit à créer un partenariat avec Nintendo. Impressionné par la console portative que le géant japonais est en train de développer, Rogers se rend en URSS afin d'obtenir les droits de Tetris pour cette branche du marché. Mais son séjour plus ou moins légal au coeur de l'Union soviétique pourrait lui faire perdre bien plus que la licence de distribution d'un jeu vidéo.
Le long métrage ne se gêne évidemment pas pour faire vibrer la fibre nostalgique de tout individu ayant grandi dans les années 1980 et 1990, de la direction artistique aux choix de pièces musicales, en passant par les synthétiseurs omniprésents de la bande originale de Lorne Balfe, les animations 8 bits servant de transitions entre les scènes, et la fascination marquée pour des innovations et des idées qui allaient devenir si familières par la suite.
Lorsque l'optimiste et candide développeur en difficulté pose pour la première fois son regard sur le prototype de la Game Boy, Baird filme ce dernier comme s'il venait de découvrir la huitième merveille du monde, comme un enfant dans un magasin de jouets durant le temps des Fêtes.
Dès l'arrivée du protagoniste en URSS, Tetris prend les airs d'un récit d'espionnage tournant autour d'un étranger constamment épié par l'État, dans un pays en déroute où les individus tenant le plus à appliquer les lois à la lettre sont généralement les plus enclins à les contourner pour leur profit personnel.
D'ailleurs, au-delà d'un simple affrontement entre les régimes capitaliste et communiste, Tetris démontre plutôt comment deux entités aux antipodes peuvent trouver un terrain d'entente lorsque les partis impliqués acceptent de jouer franc-jeu plutôt que de tenter de profiter du manque d'informations de l'autre pour lui refiler des miroirs en échange de fourrures.
Le dernier acte de Tetris se révèle d'autant plus un mélange inattendu entre la finale ironique du Adaptation de Spike Jonze et la conclusion sous haute tension du Argo de Ben Affleck.
Dans le contexte d'une production comme Tetris, nous pourrions considérer que Baird et ses acolytes ont fini par se laisser emporter par le caractère rocambolesque d'un scénario auquel ce terme n'aurait jamais été associé en temps normal. Heureusement, ces quelques excès nous sont proposés avec un sourire en coin.
Mené tambour battant, Tetris suit un schéma dramatique bien défini, voire éculé, mais toujours haletant, dans lequel toutes les pièces s'imbriquent allègrement les unes dans les autres (excusez-la!).
La raison expliquant que l'ensemble fonctionne aussi bien, c'est tout simplement l'humanité et l'enthousiasme contagieux avec lesquels nous est racontée cette petite révolution qui allait en précéder une autre beaucoup plus significative.
Loin du cynisme de The Social Network, Steve Jobs et autres Blackberry, l'histoire de Tetris est celle d'un homme qui a, certes, tout risqué pour gagner le gros lot, mais qui l'a fait en ne cherchant pas à écraser autrui, et en s'assurant que le créateur d'un des jeux vidéo les plus importants de l'Histoire reçoive sa juste part de reconnaissance et de dividendes.
Tetris est disponible dès maintenant, sur Apple TV+.