Même si nous habitons loin des banlieues parisiennes, même si nous ne sommes que les observateurs des drames politiques et humains qui sévissent par-delà l'océan, pouvons-nous être touchés ou ébranlés par la représentation (tristement inspirée de faits réels) de tant de douleurs et d'injustices? Bien sûr, au Québec, nous pouvons nous référer à certains des évènements cités dans le film de Pascal Elbé aux tragédies qui se sont déroulées à Montréal-Nord l'an dernier ou à d'autres drames plus « mineurs » qui sont survenus dans la province, mais ce ne sont que de brèves esquisses face aux inégalités qui persistent dans les zones suburbaines françaises. Même si la fiction, l'histoire proprement dite, prend une place importante au coeur de l'oeuvre - on est loin d'un documentaire fastidieux sur la réalité des habitants de la banlieue et les embrouilles auxquelles ils doivent faire face - difficile de ne pas parler de Tête de Turc comme d'un film politique, revendicateur tout au moins. Tête de Turc, au-delà de ses enjeux politiques, est film réalisé avec humilité et respect, qui mériterait qu'on lui porte un intérêt plus considérable.
Lors d'une visite professionnelle en banlieue, un médecin, prénommé Simon, est attaqué par des adolescents révoltés qui lui lancent des objets d'un toit. Lorsque l'un d'eux, Bora, lance un cocktail Molotov sur la voiture du docteur, et celui-ci perd connaissance. Chargé de remords, le jeune Bora décide d'aller sauver l'homme prisonnier des flammes. Le lendemain, tous sont à la recherche de celui qui a sauvé la vie du médecin parisien; Bora se cache ne voulant pas attirer les regards. Malheureusement pour lui, la police découvre rapidement qu'il est le responsable de cet acte héroïque. Bien que Bora veut révéler la vérité quant à la mésaventure du docteur, sa mère lui conseille de se taire pour épargner à sa famille une nouvelle épreuve.
Le jeu de chacun des acteurs est d'une maturité et d'une efficacité considérable. Pascal Elbé, en plus d'exceller derrière la caméra, donne une performance éloquente, tout comme le jeune Samir Makhlouf, pour la première fois à l'écran, qui est d'un réalisme et d'une intensité bouleversante.
Tête de Turc reflète un état d'urgence (le film a été tourné en moins de six semaines (ce qui est peu pour la France) dans des conditions précaires et on le ressent à l'écran), une impression désagréable (mais profitable à l'oeuvre) d'insécurité, d'affolement. Le film, considéré choral, aurait pu, par contre, s'aventurer davantage dans les récits parallèles; l'homme détruit suite à la mort de sa femme semble avoir été joint à la narration pour accroître le drame, déjà omniprésent. Le personnage n'est pas inutile ou inintéressant, bien au contraire, mais il aurait été plus que pertinent de développer son destin, comme celui de plusieurs autres personnages secondaires, qui sont délaissés au profit d'une narration résolue à la cohérence.
Puisque le film contient de nombreuses références aux habitudes et à la culture française - telles que le médecin à domicile, les disparités entre les Arméniens et les Turques et, bien sûr, la misère et la criminalité qui régissent les Cités - le Québec n'accueillera probablement pas l'oeuvre de la même façon que la France, consciente des déboires et des malheurs qui règnent dans leurs banlieues. Mais par-delà la manière de l'aborder, le film renferme une vérité criante et un débat important qui saura, assurément, toucher les Québécois. L'injustice, la pauvreté et la révolte sont, bien tristement, des thématiques universelles.