Les prémonitions sont souvent utilisées, au cinéma, comme prémisses d'un film d'horreur banal et interchangeable où une héroïne (préférablement jeune, sexuée, et un peu idiote) voit venir le Mal avant ses ami(e)s. Ceux qui ne la croient pas sont tués, elle s'en sort habituellement assez bien, non sans une bonne frousse. Rien de tout ça dans Take Shelter, un drame psychologique sérieux et prenant sur les prémonitions d'un homme qui fait des cauchemars qui le poussent à bâtir un abri pour sa famille. La terreur est ici traitée de manière intelligente, alors que même le personnage principal essaie de se soigner en demandant de l'aide psychiatrique.
Curtis, incarné par un Michael Shannon exceptionnel (il l'était aussi dans Revolutionary Road), est un père aimant qui prend soin de sa femme et de sa fillette, sourde et muette. Poussé par une intuition, par des cauchemars, il essaie de protéger sa famille d'une menace qui n'a ni nom ni forme. Impossible de ne pas y voir un lien fort avec la conception américaine du monde, couplée à une crainte de Dieu et à un esprit de communauté rural à travers une histoire à la forte portée symbolique. Le film fonctionne parce que les personnages sont crédibles et que leurs craintes ne sont pas banalisées par les « artifices » du cinéma. On peut donc faire le chemin avec eux, ressentir toute la tension et le déchirement.
Filmé magnifiquement par Jeff Nichols, le film utilise avec parcimonie les effets spéciaux et stylistiques. Et comme par hasard (non, pas vraiment), on est véritablement effrayé par les cauchemars de Curtis, qui se bat pour conserver sa santé mentale. L'image incarnée par la fillette, imperméable aux sons, ajoute grâce et beauté au désarroi de son père qui se sent verser vers la folie, alors qu'une rencontre entre Curtis et son frère qui tente de venir l'aider atteint un niveau de crédibilité masculine rarement vu. Deux hommes qui semblent vrais, dans une histoire qui respecte l'intelligence de ses personnages et l'amour qu'ils se portent entre eux.
Take Shelter se trouve donc renforcé par cette idée de famille, de noyau, et on peut facilement ressentir de l'empathie pour les personnages puisque leurs réactions nous semblent plausibles, d'autant que leurs préoccupations le sont (argent, sécurité, communauté). Les résonnances avec la société occidentale actuelle (environnement, américanité) sont puissantes sans être appuyées; on ne néglige pas le drame des personnages pour passer un vulgaire message.
Le film aurait été simplement grandiose s'il avait gardé la puissance métaphorique et évocatrice du dénouement en conclusion. Mais un épilogue maladroit vient diminuer un peu de la puissance épidermique de cette puissante histoire familiale. Take Shelter demeure une oeuvre de qualité supérieure malgré ce faux-pas, et la performance de Shannon pourrait bien éclipser toutes les autres cette année.