Le septième art québécois se spécialise dans la découverte de jeunes actrices formidables. Rappelons-nous seulement Charlotte Laurier dans Les bons débarras et, plus récemment, Sophie Desmarais pour Sarah préfère la course. On classera aisément Camille Mongeau dans cette catégorie pour sa performance inoubliable dans Tadoussac.
Il ne s'agit pas du premier rôle au cinéma de la talentueuse comédienne. Elle était déjà au générique des 4 soldats de Robert Morin, qui a, au final, laissé bien peu de souvenirs. Ce ne sera pas le cas de ce nouveau long métrage où l'on ne voit qu'elle à l'écran. En jeune femme qui quitte précipitamment Montréal pour Tadoussac sans même avertir ses proches, sa silhouette unique est de tous les plans. Elle incarne à la fois le mystère ambulant et le volcan tranquille, prêt à exploser à chaque instant. Un secret l'obsède, alimentant sa quête qui l'obligera à se dévoiler, à se mettre en danger et, ultimement, à évoluer. Une prestation saisissante, judicieusement récompensée d'un prix d'interprétation à Namur.
La mise en scène de Martin Laroche épouse parfaitement ses fureurs. La caméra à l'épaule qui virevolte sans cesse retransmet ce malaise qui l'accapare. Un traitement naturaliste (sans musique, sans maquillage, presque toujours en lumière naturelle) qui n'est pas sans rappeler celui des frères Dardenne et de Cristian Mungiu. Si les cinq premières minutes du film peuvent donner le tournis, l'accalmie survient à Tadoussac. La réalisation s'apaise en concordance avec le personnage qui vacille dans la quiétude. Le temps semble alors s'arrêter, au même titre que ces longs plans qui arrivent à emprisonner le réel à l'écran.
Alors que la prémisse peut rappeler celle des Loups de Sophie Deraspe et que les motivations de l'héroïne se devinent aisément, cela n'empêche pas Laroche de pondre un script finement écrit et parfaitement nuancé. Il élague les clichés pour se concentrer sur l'essentiel, créant des métaphores puissantes (le mal de ventre de la protagoniste est à la fois physique et psychologique : la vérité doit sortir avant qu'il ne soit trop tard) tout en renouant avec les préoccupations féministes de son précédent et renversant opus Les manèges humains.
Cela lui permet de pondre quelques moments de grand cinéma. C'est le cas à mi-chemin lorsque Mongeau souffre le martyre et que les ombres semblent l'aspirer. La tension qui en découle est presque insoutenable. La séquence la plus mémorable se trouve toutefois à la fin lors d'un duel téléphonique. L'émotion coule à flots, soutenue par un montage parallèle exemplaire qui intensifie l'isolement et des dialogues incendiaires. Lorsqu'elle est bien dirigée, Isabelle Blais frôle la perfection. C'est le cas dans la peau d'une charismatique marginale, sorte de grande soeur de l'être qu'elle personnifiait dans Borderline. Une confrontation digne d'un western annonçant une conclusion sèche qui pourrait en décontenancer plus d'un. Mais pourquoi annoncer un règlement ou un retour de la Guerre froide si a) l'imaginer est encore mieux et que b) ce n'est pas comme ça que ça fonctionne dans le vrai monde?
Malgré ses égarements et ses petits problèmes de son, Tadoussac qui a été tourné en seulement 15 jours fait des miracles avec son budget famélique. Il serait même difficile de trouver en 2017 un meilleur film québécois que celui-ci. Ceux qui font les révolutions... est sans doute plus ambitieux formellement, alors que le diptyque de Robin Aubert (Tuktuq et Les affamés) plus ancré dans une certaine québécitude. C'est pourtant le long métrage de Martin Laroche qui est le plus juste, le plus émouvant. Ses imperfections le rendent d'autant plus vulnérable... et quel incroyable duo d'actrices! Voici une oeuvre qu'il ne faudrait surtout pas manquer.