Le cinéma est parsemé de films aux sujets «importants» qu'il faut absolument traiter à l'écran. Sympathie pour le diable fait partie de ceux-là.
Ce long métrage immersif plonge le cinéphile dans le chaos du siège de Sarajevo en 1992, rappelant la nécessité de ne pas oublier ces conflits violents afin que l'Histoire ne se répète pas. La mise en scène nerveuse de Guillaume De Fontenay est tendue à souhait, suivant au plus près les corps dans un champ de bataille désolé où les balles peuvent surgir à chaque instant. Malgré un budget limité, le souci du détail est tellement signifiant - le cinéaste montréalais a travaillé pendant 14 ans sur ce projet - que le climat anxiogène ne tarde pas de happer.
On y fait la connaissance de Paul Marchand, un reporter français flamboyant et plus grand que nature, qui agit selon son propre code moral. Arborant des vêtements de dandy et toujours un cigare aux lèvres, ce Don Quichotte nouveau genre use de détermination et d'un humour cynique pour arriver à ses fins, s'indignant de la situation tout en déclamant des questions que ses semblables ne posent pas nécessairement.
Un beau personnage qui a réellement existé et que Niels Schneider livre avec aplomb. Elle est loin l'époque où l'acteur franco-québécois jouait dans Tout et parfait et J'ai tué ma mère. Depuis son César mérité pour Diamant noir, le comédien a trouvé des rôles de plus en plus nourrissants et nuancés (il était magistral dans Un amour impossible) qui culminent avec cette interprétation forte et charismatique.
Si seulement un soin plus conséquent était apporté à la psychologie de cet individu trouble. On sent un Paul Marchand grugé par ses blessures antérieures et sa faille intérieure, qui n'existe qu'en situation de danger, sans trop savoir ce qui l'a mené vers ce précipice. Il carbure à l'adrénaline, se sentant plus vivant lorsque la mort rôde, préférant parfois la compagnie des chiens à celle des humains. Un véritable mystère ambulant dont le traitement superficiel rend cette figure tragique un peu vide et monolithique.
Surtout qu'elle a tendance à prendre toute la place. Malgré la guerre qui fait rage et les cadavres qui s'empilent, la caméra n'en a pratiquement que pour le protagoniste étranger. Si Paul Marchand va jusqu'à faire la morale à une collègue journaliste en l'accusant de devenir le sujet de son reportage, le récit fait ironiquement la même chose avec lui. À tel point que le conflit devient presque un enjeu secondaire à côté des tergiversations de cet antihéros. Un problème qui ne se posait pas dans des oeuvres du même genre, que ce soit Missing, Under Fire ou le récent Camille de Boris Lojkine (qui était de la dernière édition du Festival Cinemania), réduisant les autres êtres à des figures narratives simplistes.
Le scénario inspiré du livre du défunt correspondant de guerre a été concocté par le réalisateur, Jean Barbe et Guillaume Vigneault. Des noms prestigieux qui empruntent trop souvent un chemin balisé et didactique au lieu de s'avérer imprévisible comme son sujet, d'y insuffler une poésie brute. À chaque scène forte comme celle de la danse de libération (sur la pièce Enola Gay d'OMD, influence de Valse avec Bachir oblige), il y a des moments manipulateurs pour faire réagir à tout prix, comme cette séquence tragique avec l'enfant.
Il ne faut toutefois pas oublier que Sympathie pour le diable demeure un premier film avec ses défauts et ses qualités. Voilà enfin une oeuvre ambitieuse sur le quatrième pouvoir qui fait revivre le passé - Paul Marchand, Sarajevo - en utilisant la force de son art pour créer un peu de mémoire. Bien que malhabile à ses heures, l'effort se suit avec un intérêt certain et il donne le goût d'en apprendre davantage sur ce sombre moment historique et sur ce métier qui se révèle plus que jamais d'une importance capitale.