Des drames français anonymes qui se rendent jusque sur nos écrans, il y en a des tonnes. Suzanne s'annonçait comme l'un d'eux, une histoire linéaire, poignante, mais futile, pourtant le long métrage surprend. Le film nous tient captifs du début à la fin. Le destin de cette jeune mère, à la fois naïve, forte et rebelle, vient nous ébranler et nous amène à nous questionner sur les choix que la vie nous force à prendre, ceux qu'on regrette et ceux qu'on cautionne.
Mais, la plus grande qualité de Suzanne, la chose qui permet ce maintient en haleine et cet intérêt jamais estompé, c'est la précellence des ellipses. La temporalité tient une place importante au sein de cette histoire (qui se déroule sur plus de 20 ans) et la manière dont son évolution nous est présentée est si efficace qu'on ne sent jamais les cassures et le morcellement du récit - généralement apparents dans ce genre de portrait dépeignant une vie presque entière. On ne mentionne jamais l'année pendant laquelle l'action se déroule, comme nous avons l'habitude de le voir au cinéma. C'est davantage par des éléments visuels (un walkman, la mode vestimentaire) ou certains dialogues (lors desquelles on mentionne l'âge des protagonistes ou celui de leurs enfants) qu'on nous amène à interpréter la période au cours de laquelle les scènes se déroulent.
Une autre des forces de Suzanne, qui fait d'elle une oeuvre marginale, c'est la finesse de jeu de François Damiens (dans le rôle d'un père aimant qui ferait tout pour ses deux filles, même si elles sont indisciplinées et volages) et des deux actrices principales, Sara Forestier et Adèle Haenel. Forestier livre une performance mémorable dans la peau de cette adolescente, puis de cette jeune adulte, entraînée par l'amour dans le monde de la criminalité. Haenel incarne sa soeur. Elle joue tout en subtilité et en pudeur malgré l'excentricité de son personnage. La comédienne a d'ailleurs remporté le César de la meilleure actrice de soutien plus tôt cette année pour son rôle.
Le montage, en harmonie avec la fluidité des ellipses, s'avère aussi une réussite substantielle et un autre aspect constructif de la production. Malgré sa redondance, la musique apporte aussi beaucoup à la qualité de l'ensemble, et la sobriété de la mise en scène en fait une oeuvre intérieure et d'une puissance insoupçonnée.
Même s'il paraissait l'être au premier coup d'oeil, Suzanne n'est pas un drame français barbant comme tant d'autres avant lui. Il possède un caractère différent auquel il est facile de s'identifier et de s'accrocher. Le film qui a ouvert la Semaine de la critique au Festival du film de Cannes 2013 possède suffisamment de ressources pour surprendre et sait si habilement comment les exploiter qu'il arrive, ultimement, à nous impressionner et à nous émouvoir.