Avec Les doigts croches, Ken Scott avait démontré que son travail derrière la caméra se mariait à merveille avec son humour fin et son sens du punch. Starbuck, son deuxième long métrage, le confirme : Ken Scott définit de mieux en mieux sa signature et occupe une place de choix dans le paysage cinématographique québécois, après deux films seulement. Si quelques invraisemblances et raccourcis sont regrettables (mais paraissaient inévitables), Starbuck trouve le ton juste pour raconter une histoire tordue qui semble avoir des airs de famille.
Encore une fois, la grande qualité de l'humour de Scott, qui co-signe le scénario avec Martin Petit, provient du respect des auteurs pour les personnages du film; on refuse systématiquement de les trahir, de les manipuler bassement pour une blague ou un gag éphémère, préférant leur construire une personnalité qui permet de mieux les cerner et de s'y identifier. L'humour passe aussi grandement par la bonhomie d'Antoine Bertrand, hilarant dans le rôle d'un avocat père monoparental de quatre enfants.
Le scénario, bien construit, donne une véracité supplémentaire aux personnages qui fait qu'on se sent devant Starbuck comme devant un membre de notre famille - c'est-à-dire qu'on est plus enclin à lui pardonner quelques défauts... - qui nous est à la fois familier et imprévisible. Le protagoniste, par exemple, ressemble à d'autres héros mous qui refusent de grandir et qui, à 40 ans, sont encore des adolescents. Starbuck nous propose d'assister à un changement psychologique profond, sans que le personnage ne soit forcé, par des retors narratifs, à prendre ses responsabilités. Le protagoniste n'est pas la victime du film, il en est le moteur, on peut donc capter plus facilement la force dramatique de ses choix. L'impact est plus fort, autant dans l'humour que dans le drame.
Dans le rôle de David Wosniak, Patrick Huard démontre à nouveau qu'il est capable d'endosser un personnage entièrement, de l'habiter pour peu qu'on lui en donne la chance. Il faut aussi souligner la direction artistique, foisonnante de détails, et de direction-photo, subtilement vintage, qui l'encadre bien. On retrouve donc à l'image une profondeur, une texture rugueuse, qui correspond parfaitement au développement psychologique du personnage. Dommage, cependant, que les séquences impliquant la famille immédiate de David manquent de cette originalité qui faisait le charme inexplicable de l'histoire d'un homme qui a 533 enfants. Avec une idée comme ça, tout, mais tout est possible... comme d'avoir quelques acteurs secondaires qui jouent grossièrement des personnages qu'on n'a évidemment pas eu le temps de bien cerner. C'était inévitable.
Voilà pour les quelques défauts; c'est sans compter la finale, qui s'étire un peu, comme si on s'était senti obligé de réconcilier tout le monde. Starbuck, un feel-good movie? Oui et non. Oui parce qu'on peut aisément se laisser prendre au piège par cette histoire drôle et touchante à la fois. Non, parce qu'on sent une véritable personnalité de cinéaste dans la construction d'un long métrage enthousiasmant. L'efficacité de Starbuck va bien plus loin que l'application d'une simple recette.