La cinéaste Sophie Dupuis veut que le spectateur vive des émotions fortes à travers ses films. Cela tombe bien, il y en a beaucoup dans Solo.
Son troisième long métrage se déroule dans l'univers de la scène drag montréalaise, alors qu'un danseur prometteur (Théodore Pellerin) s'amourache d'une nouvelle recrue (Félix Maritaud). Les émotions qu'il vit - combinées au retour soudain de sa mère (Anne-Marie Cadieux), une populaire chanteuse d'opéra - risquent toutefois d'être difficiles à gérer.
Solo apparaît comme un croisement entre les deux précédentes créations de son autrice. De Chien de garde, elle a conservé ses dialogues incendiaires et ses relations disfonctionnelle entre les individus. Et comme Souterrain, elle dresse le portrait d'un milieu marginalisé souvent méconnu.
On y retrouve également Théodore Pellerin, son acteur fétiche, qui livre une autre brillante performance. L'être qu'il campe, complexe et à fleur de peau, apprendra les rudiments de l'amour en souffrant allègrement. Une perte d'innocence qui l'amènera à évoluer et à forger sa propre identité, seul, comme l'indique le titre de l'ouvrage.
Ce personnage est tellement fascinant qu'il ne fait qu'une bouchée de son amoureux. Ce dernier, un manipulateur toxique, est presque toujours fait du même bois, empêchant la complicité et le duel en bonne et due forme de voir le jour. Le jeu monocorde de Félix Maritaud (vu dans le magnifique 120 battements par minute) n'est pas là pour aider.
De quoi lui préférer nettement Alice Moreault, parfaite en soeur fusionnelle du héros, et Anne-Marie Cadieux, impériale en mère idéalisée. Le reste de l'interprétation varie grandement et n'est pas exempt de stéréotypes.
Le scénario conventionnel de Sophie Dupuis ratisse large sans nécessairement développer ses thèmes en profondeur. Celui de l'amour-passion fait mouche car il est traité de façon universelle. Mais il souffre de développements commodes (le protagoniste apparaît souvent sous l'influence de substances illicites qui faussent son jugement) et d'une conclusion qui laisse à désirer malgré toute l'émotion qu'elle procure.
On sent également un désir de politiser les enjeux, à la fois dans cette façon d'aborder le milieu drag (le numéro sur Black Lives Matter) que de rappeler l'âge varié de ses participants. Des éléments louables qui apparaissent greffés au récit et qui manquent de cohésion, de subtilité. Tout le contraire de Mourir comme un homme de Joao Pedro Rodrigues qui explorait cet aspect avec finesse.
Là où la réalisatrice excelle, c'est dans sa façon de filmer la nuit, de révéler ses êtres. Elle sait capter ce moment d'effervescence où les corps se transforment et s'animent. Aidée de la superbe direction photo de Mathieu Laverdière, Sophie Dupuis déploie avec énergie et vigueur sa mise en scène (rien à redire sur les costumes, les coiffures et le maquillage). Ici on pense à Xavier Dolan, là à Martin Scorsese. Elle offre le temps et la latitude à ses danseurs de vivre et d'exister à l'écran, accompagnant leurs chorégraphies de tubes accrocheurs.
Sa maîtrise technique est telle qu'elle finit par faire de l'ombre au script, qui se veut parfois lourd, didactique et démonstratif. Cela n'empêche pas Solo de séduire et de faire vivre des émotions fortes comme le souhaitait tant sa cinéaste.