Si Babysitter était plus audacieux, moins accessible, pour le cinéphile moyen, le nouvel effort de Monia Chokri, Simple comme Sylvain, saura plaire à un auditoire beaucoup plus large. Et, dans ce cas-ci, « accessible » ne signifie pas « moins créatif » ou « plus bête », au contraire, son nouveau film renferme toujours autant d'âme et de caractère, mais l'histoire y est plus linéaire, et les envolées lyriques moins obscures. Le talent de la jeune réalisatrice ne fait que s'affiner au fil des ans, et c'est un bonheur considérable de voir son oeuvre et son identité de cinéaste se bâtir sous nos yeux.
Dans Simple comme Sylvain, on suit Sophia, une professeure de philosophie de 40 ans, qui est en couple avec un intellectuel, Xavier, depuis 10 ans. Ils mènent une existence paisible, sans tracas, mais sans passion non plus. Lorsqu'elle rencontre Sylvain, un entrepreneur en construction venu inspecter son nouveau chalet à la campagne, Sophia s'éprend follement de lui. Elle quittera tout pour recommencer sa vie avec cet homme aux antipodes de tous les gens qu'elle fréquente généralement. Mais, une relation entre deux personnes provenant de milieux aussi différents est-elle réellement possible?
La question du classisme (discrimination fondée sur l'appartenance ou la non-appartenance à une classe sociale) en est une fort intéressante à étudier dans un contexte de relation amoureuse, et une assise pertinente pour une comédie romantique novatrice. Il y a évidemment beaucoup de chair autour de l'os dans cette version moderne du film d'amour classique. En plus d'exposer certaines théories de philosophes sur le sentiment amoureux, l'autrice et réalisatrice présente des personnages complexes, très typés sans être clichés. Les individus créés par Monia Chokri ne sont pas des caricatures, bien qu'ils représentent tous efficacement la classe sociale à laquelle ils appartiennent.
Les deux acteurs principaux, Magalie Lépine-Blondeau et Pierre-Yves Cardinal, insufflent ce qu'il faut de nuances à leur alter ego respectif pour ne pas tomber dans le stéréotype. De plus, les deux comédiens possèdent une chimie incroyable, un élément essentiel à la réussite d'une comédie romantique. Les scènes intimes sont filmées avec autant d'imagination que de volupté. L'instinct de la réalisatrice de montrer davantage le corps de l'homme, de présenter nommément l'objet du désir de la protagoniste, apporte une marginalité bienvenue. Si les personnages de Kevin et Karine (le frère de Sylvain et sa conjointe) sont dessinés à plus gros traits, ils restent éminemment sympathiques. Mathieu Baron et Christine Beaulieu (qu'on voit rarement dans des rôles comme celui d'une esthéticienne de Saint-Eustache) font du bon boulot pour les rendre comiques et attachants.
La finale n'affirme rien, elle sous-entend et force une réflexion. Monia Chokri ne nous donne pas tout cuit dans le bec. Il faut cogiter, se mettre dans les souliers de la protagoniste, analyser la situation. C'est signe d'un film réussi lorsqu'il nous habite longtemps après le visionnement, qu'il nous force à méditer, à discuter. Simple comme Sylvain possède définitivement cette richesse morale, en plus d'un humour lucide.
Parce qu'il manque de comédies romantiques dans le catalogue québécois ces jours-ci, parce que le discours perspicace et l'oeil raffiné de Monia Chokri méritent votre attention, et parce que la direction photo d'André Turpin vaut, à elle seule, le détour, Simple comme Sylvain doit se retrouver sur votre liste des oeuvres à voir au cinéma cet automne.