Sicario sans Denis Villeneuve, est-ce possible? Day of the Soldado prouve que non.
Sans être son meilleur film, Sicario a confirmé que Denis Villeneuve avait sa place parmi les meilleurs cinéastes contemporains. Sa mise en scène exceptionnelle peuplée de plans incroyables venait régulièrement à la rescousse d'un scénario quelconque qui s'inspirait énormément du Traffic de Steven Soderbergh. Portée par un succès critique et commercial, puis ses trois nominations aux Oscars, une suite devait inévitablement voir le jour. Et elle s'est faite sans son chef d'orchestre, occupé sur un certain Blade Runner 2049.
Son remplaçant, l'Italien Stefano Sollima, aussi talentueux soit-il (il est l'auteur de l'efficace Suburra et du plus oubliable A.C.A.B.: All Cops are Bastards), ne possède pas sa vision. Sa démarche a beau être appliquée, elle souffre trop de son travail à la télévision (notamment sur Gomorra et Romanzo criminale). Sa réalisation manque ainsi souvent de vigueur et de souffle épique. Le travail sur le son laisse cette fois à désirer malgré une trame sonore probante d'Hildur Guonadottir, alors que les quelques scènes d'action plus trépidantes sont des variations sur celles du premier volet.
Le long métrage avait pourtant besoin de cette transcendance technique, car ce n'est pas le script qui élève les enjeux. De retour à l'écriture est Taylor Sheridan, en très petite forme après ses exquis Hell or High Water et Wind River. Si l'on reconnaît ses thèmes fétiches et son obsession pour les territoires sauvages, l'histoire qu'il vient de pondre n'est pas particulièrement nuancée. Elle débute dans le douteux simpliste avec ses migrants qui viennent aux États-Unis pour jouer aux terroristes avant d'embrasser la voie de la violence gratuite, d'une complaisance sans nom. L'ensemble s'améliore quelque peu dans la seconde partie, plus sobre et probante, avant de verser dans un sentimentalisme appuyé alors que nos deux antihéros sans foi ni loi décident soudainement de protéger la vie d'une adolescente...
Privilégiant un univers masculin, macho et sexiste en faisant totalement abstraction du personnage d'Emily Blunt tout en offrant des rôles de faire-valoir aux rares actrices (pauvre Catherine Keener!) qui doivent absolument être secourues par des mâles en rut, l'effort ne sentira pas bon en cette ère d'égalité. Cela n'empêche pas Josh Brolin de s'amuser, lui qui fait mouche avec ses répliques truculentes. Après Avengers: Infinity War et Deadpool 2, il est capable mieux que personne de rendre humains des individus pas forcément agréables. Plus fascinant encore est l'assassin mystérieux campé par Benicio del Toro, qui se mute en sorte de Logan au fil du récit. On en aurait pris davantage de cet être décontracté... mais pas de ces moments complètement ridicules et risibles à la fin où il se transforme en émule de Rambo et de Jésus.
Se regardant sans passion ni véritable ennui, Sicario: Day of the Soldado n'arrive jamais à capitaliser sur son côté sombre et méchant pour sortir du lot. Au mieux, il s'agit d'un ersatz du premier Sicario. Au pire, une tentative de créer artificiellement une franchise, ce que la conclusion vient confirmer. Denis Villeneuve a beau avoir applaudi cette suite, le résultat en place ne s'avère pas réellement concluant.