*** Vu au Festival du film de Toronto 2018
Le cinéaste Barry Jenkins a une manière bien particulière de raconter les choses, c'est à la fois beau et laid, doux et violent. Il nous propose avec If Beale Street Could Talk un film encore plus abouti, plus mature et poignant que son Moonlight, pourtant récipiendaire de l'Oscar du meilleur film en 2017. Bien qu'il aurait bénéficié d'une charpente mieux définie, If Beale Street Could Talk nous transporte au coeur d'une histoire d'amour façonnée au-delà des barrières de la langue, de la race ou des valeurs individuelles. Le drame propose, certes, certains idéaux politiques, mais il s'intéresse d'abord à cette relation amoureuse tortueuse entre deux jeunes gens (âgés de 19 et 22 ans) qu'on force, sans compassion, à assumer des rôles d'adultes trop vite.
Jamais on ne doute de l'affection sincère qui unit Tish et Fonny, un jeune couple dont l'avenir est compromis quand le garçon est accusé d'un crime immonde qu'il n'a pas commis. Les acteurs KiKi Layne et Stephan James brillent de mille feux sous les traits de ces deux amoureux que la vie a malmenés. Dès que leurs regards se croisent, le temps s'arrête et le poids du monde devient moins lourd à porter. Regina King, qui interprète la mère de Tish, est tout aussi exceptionnelle. Elle s'illustre dans le rôle d'une femme déterminée à épargner sa fille des injustices et des échecs du monde dans lequel elles vivent. Bien que l'histoire se déroule dans les années 70 à New York, le racisme qui y est dépeint n'est pas si loin de la réalité actuelle. Ce qui est, bien entendu, exaspérant à constater.
Barry Jenkins offre une réalisation sensible, humaine, qui nous transperce le coeur. Ses plans fixes des personnages qui regardent l'objectif sans broncher sont bouleversants. Le réalisateur a compris que les mots ne sont pas toujours nécessaires. À travers ses images muettes, il nous livre des dizaines de pages de dialogues. Sans prononcer un seul mot, les comédiens nous révèlent leurs inquiétudes et leurs espoirs. Jenkins est un excellent directeur d'acteurs, qui comprend le jeu et sa toute-puissance. En collaboration avec ses comédiens, il nous livre un poème, une puissante ode à l'amour et à la résilience.
Cette scène lors de laquelle Tish doit confronter la famille de son copain et la sienne afin de leur annoncer qu'elle est enceinte et qu'elle gardera le bébé mérite le détour à elle seule. Puis, il y a aussi celle où Regina King se rend à Puerto Rico pour tenter de convaincre la victime du viol dont a été faussement accusé Fonny que son beau-fils n'est pas responsable de ces horreurs. Barry Jenkins propose des moments cinématographiques exceptionnels qui marqueront longtemps.
If Beale Street Could Talk est un grand film intimiste qu'il ne faut pas manquer.