Même s'il abandonne les histoires de gangster et qu'il délaisse (un peu) la violence pour le suspense, ce nouveau projet de Martin Scorsese porte l'empreinte du cinéaste. D'abord à travers Leonardo DiCaprio, que Scorsese dirige mieux que quiconque dans une autre collaboration fructueuse. Ensuite dans cette reconstitution d'époque, fine et convaincante, qui enrobe le film d'une aura de mystère bien amenée. Dommage que le film s'étire inutilement lors du dénouement - relativement prévisible d'autant - et qu'il s'égare parfois dans de lourdes répétitions. Shutter Island demeure un mélange souvent réussi (plus souvent qu'autrement, à tout le moins) entre The Game, de David Fincher, et Identity, de James Mangold. Une valeur sûre, qui livre la marchandise sans enflammer les passions.
En 1954, au large de Boston, deux marshals américains se rendent sur Shutter Island afin d'enquête sur la mystérieuse disparition d'une patiente de l'hôpital psychiatrique. Ils y rencontrent de l'hostilité de la part des médecins et des employés, qui semblent tous cacher un secret important. Lorsque la patiente est retrouvée, les deux hommes ne peuvent quitter l'île à cause d'une tempête, ce qui leur permettra de poursuivre leur enquête. Et ce qu'ils vont découvrir va ébranler jusqu'à leurs souvenirs les plus intimes.
DiCaprio, donc, qui incarne avec le talent qu'on lui connaît le marshal Teddy Daniels, est de plus en plus convaincant tandis que le film avance dans les méandres de ses hallucinations. Vétéran de la guerre, père aimant et policier dévoué, il est crédible partout même si son visage de vedette internationale sied mal à un personnage qu'on imagine plus anonyme. Voilà un moindre mal du cinéma, dirait-on. Ses covedettes s'avèrent toutes convaincantes, surtout Ben Kingsley, qui a fait quelques choix de rôles douteux dans les dernières années et qu'il fait du bien de revoir en forme, dans un film sérieux.
La réalisation de Scorsese, audacieuse comme on l'a rarement vue, offre quelques moments transcendants et chargés d'émotions qui fonctionnent à merveille. Impossible de les révéler sans gâcher le déroulement dramatique du film. Ce qui, en soit, est un problème : il y a quelques accrocs à l'usage, quelques détails qu'on pourrait aisément méprendre pour des erreurs, qui vendent la mèche sur ce qu'on essaie de cacher si ardemment. Une seule explication est possible, et elle s'avère juste.
Cette finale, donc, qui est à la fois subtile et bébête, expédie en quelques dialogues les informations qu'on a été incapable de transmettre pendant le film (qui dure quand même 2h20). Les comédiens s'amusent lors de la confrontation, la réalisation est vive et convaincante, mais le dénouement (qui parvient, par une acrobatie satisfaisante, à sauver le happy end) est trop évident. D'autant qu'on lorsqu'il arrive, on n'est plus aussi déstabilisé qu'on l'a été plus tôt dans le film.
Parce que certains personnages et certaines scènes répètent inutilement ce qui a déjà été dit, ce qui retarde cette fameuse conclusion et qui diminue l'impact de la tension qu'on s'est appliqué à construire jusque là. Même chose pour les flashbacks : malgré leur beauté plastique, ils retardent encore le dénouement, figure explicative essentielle des choix cinématographiques effectués par le cinéaste. Et ne nous mentons pas : c'est la conclusion et son efficacité qui détermineront, pour chacun, du succès du film. Si elle est, pour vous, aussi étonnante qu'elle le devrait, l'expérience sera satisfaisante. Sinon... on risque d'être un peu déçu de n'avoir été qu'en surface dans l'esprit d'un homme. Le cinéma (sous Scorsese), devrait pourtant être capable de tout montrer.