La séquence d'ouverture pour le moins chargée du plus récent long métrage d'Azazel Jacobs (Terri, The Lovers, French Exit) n'aurait pu être plus éloquente.
À travers les cadrages d'une caméra fixe, braquée tour à tour sur chacune des trois protagonistes, nous passons du (très) long monologue autoritaire et contrôlant de Katie (Carrie Coon) au regard intoxiqué et fatigué de Rachel (Natasha Lyonne), puis aux interventions plus émotives et candides de Christina (Elizabeth Olsen).
En un peu moins de cinq minutes, tout est limpide en ce qui a trait à la dynamique, aux non-dits, et aux conflits sous-jacents qui unissent et tiraillent les trois soeurs en peine.
Le trio est réuni dans l'appartement new yorkais où vivent Rachel et leur père, alors que ce dernier pourrait rendre à tout moment son dernier souffle. Entre la visite des aides-soignants, le remplissage de la paperasse d'usage, la difficile rédaction d'un hommage posthume et l'éloignement prolongé de Christina et Katie de leur petite famille respective, la cohabitation soudaine des trois principales intéressées (réunies sous le même toit pour la première fois depuis des années) n'est pas de tout repos, et les frictions s'intensifient au rythme des jugements hâtifs et des malentendus.
Jacobs construit particulièrement bien son huis clos à l'intérieur de ce modeste appartement, qu'il ne quitte que pour accompagner Rachel lorsqu'elle veut fumer un joint, permettant par la même occasion à son film de mieux respirer tout en accordant un petit moment de répit au spectateur.
Autant le cinéaste propose une mise en scène tout en retenue, autant sa présence derrière la caméra se fait sentir dans le moindre de ses plans, dans sa façon de découper une pièce, d'utiliser un mur, un cadre de porte, ou une table pour isoler un personnage, créer un rapport de force ou communiquer vivement une émotion.
Le tout est d'autant plus renforcé par les superbes éclairages automnaux du directeur photo Sam Levy (un collaborateur de longue date du couple Gerwig-Baumbach).
La plus grande force du film réside néanmoins dans les performances diamétralement opposées, mais toutes aussi humaines, touchantes et vulnérables des trois têtes d'affiche. Malgré ses indéniables qualités cinématographiques, His Three Daughters serait assurément un rêve d'actrice (et de metteur en scène) si quelqu'un avait un jour la bonne idée d'adapter la vision d'Azazel Jacobs pour le théâtre.
Surtout, His Three Daughters décortique l'essence de chacune des trois soeurs avec la même authenticité, les définissant autant par leurs qualités que par leurs défauts, et à partir de tout ce qu'elles pourraient apprendre l'une de l'autre si elles prenaient la peine de s'écouter. Chacune cherche à exprimer le même niveau d'amour et de bienveillance, mais en s'y prenant d'une manière foncièrement différente.
Le cinéaste fait également preuve de finesse et d'une belle intelligence émotionnelle dans la séquence où il introduit finalement le personnage du père - dont la présence était réduite jusque-là aux bruits des machines aidant à le maintenir en vie. Même si nous savons pertinemment de quoi il en retourne, voir ce dernier venir colmater les brèches entre ses trois progénitures en leur faisant voir leur relation à travers son regard est un moment aussi beau et prenant que tragique.
En livrant son récit sur la fratrie, les liens filiaux, la maladie et le deuil, Azazel Jacobs trouve le parfait équilibre entre retenue et émotions à fleur de peau, traitement frontal et discrétion.
Et à l'instar de la façon dont il célèbre la mémoire du père par le biais des souvenirs de celles et ceux qui l'ont côtoyé durant ses meilleures années, His Three Daughters laisse d'abord sa marque avec ses élans les plus francs et fougueux, puis continue de nous habiter un peu plus par l'entremise de tous ces détails qui ont pu paraître anodins sur le coup, mais qui étaient peut-être ce qu'il y avait de plus important en bout de ligne.