« SEXE! Maintenant que j'ai votre attention, votez pour moi », s'exclamait jadis Bart Simpson, alors en pleine campagne électorale pour tenter de devenir le président de sa classe.
Il y a autant le geste politique que le désir de provocation dans le présent Se fondre de Simon Lavoie - que nous estimons toutefois beaucoup plus sérieux dans sa démarche que le jeune élève de la classe de Mlle Krabappel a pu l'être au début des années 1990.
Même si le Parti québécois semble soudainement avoir le vent dans les voiles après avoir contemplé sa propre mort il n'y a pas si longtemps, la cause souverainiste - de même que celle de la langue française - ne semble pas jouir du même engouement auprès des électeurs de la Belle Province.
Un constat qui n'est toutefois pas si surprenant dans une société dont le modèle et les intérêts sont de plus en plus tournés vers l'individuel plutôt que le collectif.
Simon Lavoie prend néanmoins le pari audacieux de nous transporter quelques décennies dans le futur, dans un Canada où la culture québécoise s'est peu à peu évaporée face à l'anglicisation du reste de la planète.
D'ailleurs, toutes les répliques du film prononcées dans la langue de Shakespeare sont inaudibles, présentées par l'entremise d'intertitres à la manière d'un film muet.
À l'intérieur d'un pénitencier surveillé par des gardes constamment cagoulés vivent depuis des décennies certains des derniers résistants de la cause souverainiste, isolés les uns des autres, ne communiquant qu'en code morse par l'entremise de la cuvette des toilettes.
Dans ce contexte tout sauf stimulant, aussi bien pour le corps que l'esprit, Lavoie fait réciter à ses personnages des passages de certains de nos plus grands penseurs et écrivains portant sur le nationalisme et l'identité des peuples, notamment au prisonnier 973 (Jean-François Casabonne) dont le corps est habité par un ver vraisemblablement en mission.
Et comme si ce n'était pas suffisant, les anciens comparses du protagoniste se mettent subitement à mourir les uns à la suite des autres au milieu de la nuit, assis sur la toilette de leur cellule.
Si vous vous dites qu'il y a probablement un lien entre les deux éléments présentés ci-haut, votre perspicacité vous honore.
Des séquences aussi angoissantes qu'insolites et malaisantes nous faisant suivre le parcours de notre ami solitaire en images de synthèse, se promenant d'un hôte à un autre à travers les conduits crasseux de la prison, vous en aurez pour votre argent...
Dans son discours, le réalisateur laisse autant paraître sa ferveur engagée qu'il ne cache pas son cynisme face à un avenir qui ne s'annonce pas des plus glorieux pour la cause qui lui tient à coeur. 973 adoptera un ton de plus en plus défait et défaitiste à travers ses allocutions, mais derrière lesquelles nous sentons néanmoins toute la volonté de brasser la cage du public interpellé.
Lavoie ne cache jamais non plus son admiration pour le cinéma du regretté Pierre Falardeau. En plus de mélanger cinéma engagé, drame d'anticipation, horreur et science-fiction dans une atmosphère aussi glauque qu'oppressante, Se fondre s'impose également comme un improbable croisement entre le militantisme d'Octobre, le lyrisme de 15 février 1839, et les métaphores de refoulements d'égout d'Elvis Gratton 3.
Se fondre sera sans aucun doute l'une des propositions cinématographiques les plus polarisantes qui verra le jour cette année, et ce, autant de par son essence que son approche formelle, ses analogies intestinales pouvant être interprétées de bien des façons, et son mélange de politique, de moyens du bord et de « body horror » qui ne ferait sans doute pas sourciller un certain David Cronenberg.
Nous devons à tout le moins reconnaître le dévouement et l'assurance avec lesquels le cinéaste québécois mène son navire à bon port, exigeant parfois beaucoup du spectateur. Se fondre est l'oeuvre d'un artiste convaincu, frondeur, et indésireux de faire le moindre compromis.
Ce qui n'est pas peu dire pour un film osant flirtant autant avec le grotesque et pousser son idée de départ aussi loin, allant jusqu'à terminer sa course en ramenant ce qu'il reste de l'héritage québécois à la maison d'un pêcheur. « Dans le sens de... », comme dirait RBO.
Lavoie atteindra-t-il son but de stimuler la réflexion identitaire au coeur de la population du Québec, et de réveiller certaines forces endormies?
En insufflant des sens diamétralement opposés à ses élans, Se fondre a à tout le moyen la clairvoyance de se présenter autant comme une bonne tape dans le dos qu'une sérieuse mise en garde.