Saving Mr. Banks aurait pu être un grand film, une oeuvre inspirante, à la fois authentique et captivante, vibrante même, mais il a fallu qu'on choisisse la mièvrerie plutôt que la sincérité. On a voulu rendre le personnage de P.L. Travers sympathique. On a voulu excuser l'austérité de l'auteure, ou du moins l'expliquer, en brossant, en parallèle, son histoire, sa relation avec son père alcoolique et ses conditions de vie difficiles alors qu'elle était enfant. Comme on l'a fait avec le film Hitchcock (qui devait dépeindre l'entêtement du cinéaste à produire Psycho, mais qui fut bien davantage l'apologie de sa relation avec sa femme), on s'est détourné de l'essentiel pour apporter une sensibilité raisonnable au protagoniste. On a tellement voulu engendrer l'attachement des spectateurs qu'on a presque oublié de stimuler leur intérêt.
L'acharnement de Walt Disney à produire Mary Poppins, même si sa créatrice (antipathique et orgueilleuse) refusait catégoriquement de lui céder les droits, et cette auteure, qui ne voulait pas que son oeuvre tombe entre les mains de ce fanfaron extraverti et déplacé, étaient suffisants pour engendrer un produit solide. Il était inutile de faire la reconstitution de l'enfance de l'écrivaine, de dépeindre les ressemblances entre son père à elle et celui des enfants Banks, en fait, il était inutile de retracer l'origine des personnages qu'a imaginés Travers, sa seule lutte pour conserver l'intégrité de son héroïne et l'empêcher de devenir un vulgaire animal de cirque dans les mains d'un clown était amplement suffisante à un récit inspirant.
Malgré l'interprétation maladroite qu'on en a faite, l'histoire reste intéressante. Tom Hanks livre une performance crédible dans le rôle de cet homme qui semblait toujours voir la vie à travers des lunettes roses, et Emma Thompson s'avère également juste sous les traits de P.L. Travers, la célèbre auteure aigrie de Mary Poppins. Le personnage de Paul Giamatti - le chauffeur de Travers dans la Cité des Anges - apporte une dimension doucereuse au récit. Il est le seul qui est arrivé à percer la coquille de l'auteure et, même si certaines de ses apparitions et de ses répliques sont clichées, sa seule présence aurait pu servir de motifs à l'exposition de la bonté du personnage de Travers. Il était inutile de détailler ainsi son enfance houleuse.
L'obstination de John Lee Hancock (réalisateur) et de Kelly Marcel (scénariste) à nous émouvoir est telle qu'elle transparaît également dans la musique, les décors, les costumes. Tout a été mis en place pour soulever l'empathie du spectateur, et ç'a été fait avec si peu de retenue qu'on finit par se sentir piégé. La direction artistique se révèle tout de même bien faite, tellement qu'à certains moments on accepte d'être ému, même si on sait qu'on nous enfonce le sentiment au fond de la gorge sans retenue.
Même si Saving Mr. Banks aurait pu être bien meilleur (il faut dire que mes attentes étaient très grandes), il reste tout de même une chronique intéressante qui dépeint deux artistes aux personnalités bien distinctes, mais aux motivations semblables. Un film qui manque sa cible, mais qui remplit tout de même sa mission de divertir et d'émouvoir le grand public. Un film sans trop de nuances, mais un film charmant (qu'on aurait, par contre, voulu inspirant).