En général, le cinéma québécois est, à l'instar du cinéma français et à l'inverse du cinéma hollywoodien, un cinéma d'auteur(s). Il est très rare que les films qui sont menés à terme (vu les efforts et les sacrifices qu'il faut déployer) soient les produits anonymes d'un réalisateur ou d'une réalisatrice interchangeable (ces projets sans personnalité sont de toute façon très faciles à identifier). Chloé Robichaud, avec son premier long métrage, s'inscrit dans cette tradition de cinéma personnel et d'auteur, en embrassant les qualités autant que les défauts de ces films dont la vision personnelle de l'auteur est le jalon artistique.
Car Sarah préfère la course a ces qualités qu'on appose souvent aux gestes artistiques : on y trouve une touche personnelle, une signature cohérente, des intentions et des thèmes subtils et signifiants, etc. On n'a aucun doute que le film respecte la vision de son auteur. On pourra certainement se perdre en suppositions, en intentions, en significations cachées et discourir longtemps de ce qui est dans ce film et de ce qui n'y est pas. Pourtant, on y trouve aussi les défauts d'un cinéma d'auteur encore jeune - des dialogues minimalistes, un refus de sens et un rejet du drame (devenus des clichés eux aussi) - qui viennent nuire à l'élaboration d'une proposition de cinéma enthousiasmante.
Les personnages, minces, ne semblent pas intéressés à même être là, surtout l'héroïne, Sarah, qui n'aime vraiment que la course. La course, c'est toute sa vie. Ses désirs sont pratiquement imperceptibles, muets, comme s'ils étaient le sujet d'une discussion tacite avec le spectateur, qui pourrait aussi bien ne pas avoir lieu. Que désire-t-elle? Nous ne le saurons jamais vraiment. C'est pourtant souvent de cette façon qu'on définit les personnages (parfois même contre leur gré), et Sarah préfère la course n'avait pas le luxe de se passer de personnages engageants. L'empathie est difficile à trouver.
Même l'idée de la course - une fort belle métaphore au demeurant - ne paraît jamais prendre un autre sens que le sens premier de courir en rond contre d'autres coureurs (mais surtout soi-même). Une question de vie ou de mort? Peut-être, mais Sarah elle-même ne semble pas s'en rendre compte. D'ailleurs, la finale (qui m'a rappelé Gattaca, mais je dois bien être le seul) et la maladie supposée de Sarah ratent l'ampleur poétique qu'on leur suppose au départ.
Sophie Desmarais, qui est une actrice au jeu délicat qui a de nombreuses fois démontré l'étendue de son talent dans plusieurs courts métrages, est parfaite dans le rôle de Sarah. Un rôle qui demande beaucoup d'intériorité, et si le film fonctionne malgré ses faiblesses narratives, c'est parce la caméra et la jeune femme semblent en parfaite synchronie. On ne peut en dire autant des personnages secondaires qui, s'ils ne sont certainement pas mal interprétés (au contraire, même), souffrent d'être eux aussi hors de l'histoire, dans un autre paradigme.
En résumé : les rapports humains ne sont pas très forts, ici. Dans un film si près de ses personnages, si minimaliste autant dans les décors que la direction-photo, c'est presque fatal.