Il sera difficile de retenir ses larmes devant All of Us Strangers, un des films les plus émouvants des dernières années.
Ce récit d'exception qui pourrait faire fureur à la prochaine cérémonie des Oscars se déroule dans la ville froide et austère de Londres. Afin de rompre sa solitude, un scénariste (Andrew Scott) se lie d'amitié avec un voisin (Paul Mescal), reprenant même contact avec ses parents (Jamie Bell et Claire Foy), décédés alors qu'il n'avait que 12 ans!
Cette adaptation du roman de Taichi Yamada revisite les fantômes - et les regrets - d'antan afin d'aborder des thèmes majeurs : l'absence, les angoisses refoulées, ce vide qui hante les êtres humains. Un climat de spleen et de mélancolie s'installe de la première à la dernière image, rendant plus que palpable la souffrance des personnages.
Ces derniers sont incarnés par des acteurs en pleine possession de leurs moyens. Remarqué à la télévision dans des séries comme Sherlock et Fleabag, Andrew Scott campe un héros à fleur de peau, beau et imparfait, qui semble incapable de nouer une relation avec ses semblables. Un être à la fois universel et marginal qui trouve écho dans le duo qu'il forme avec le fabuleux Paul Mescal, l'inoubliable père du magistral Aftersun.
Révélé en 2011 grâce à son impressionnant Weekend et consacré avec 45 Years et Lean on Pete, le talentueux cinéaste britannique Andrew Haigh signe ici son meilleur film. Une oeuvre mature et maîtrisée, d'une empathie certaine qui, même si elle s'avère par moment maniérée et trop symbolique dans ses jeux de miroirs et de dualité, ne manque surtout pas de tendresse et de sensibilité dans sa façon de camper un cocon intime et personnel.
Le cinéaste sait utiliser le pouvoir des ellipses afin d'exprimer le passage du temps. Pour y arriver, il recoure à la fiction (le protagoniste est scénariste) et aux souvenirs afin d'accéder à de nouvelles réalités. Une illusion onirique personnifiée par ce train qui navigue allègrement entre le présent et le passé. Des moments charnières qui permettent au personnage principal de renouer avec ses parents et de se confier sur son homosexualité, de noter comment le monde a changé - ou pas - entre les années 1980 et aujourd'hui.
La première scène annonce subtilement les enjeux du récit. Il y a cette ville morose bleutée où est superposée le héros. Il sera donc autant question de Londres que de cette présence humaine qui agit tel un spectre, de la difficulté de porter en soi une fêlure. Refoulée, en sourdine, cette dernière ne tarde pas à s'ouvrir, notamment lors d'une inquiétante séquence de danse sur un remix de Blur.
La magnifique photographie de Jamie D. Ramsay (Moffie) apporte graduellement un peu de chaleur humaine à l'ensemble. Une lumière qui magnifie le quotidien et panse les plaies. Sublimée à la bande-son tour à tour angoissante et apaisante d'Emilie Levienaise-Farrouch (Living), l'effet s'avère saisissant.
Cet amalgame contribue d'ailleurs à maximiser l'émotion sans tomber dans le sentimentalisme d'usage. Au contraire, il n'y a jamais rien de lourd ou de manipulateur dans cette façon de rappeler tous les moments manqués entre parents et enfant. Une mélodie des Pet Shop Boys - un des groupes anglais les plus emblématiques de son époque et dont un tube marquait déjà le récent Saltburn - devient l'emblème de cette vie de famille encore douce et innocente. Tandis que la chanson The Power of Love de Frankie Williams contribue à rendre la finale particulièrement bouleversante et mémorable.
Superbe voyage intérieur, All of Us Strangers rappelle l'importance de briser le silence et l'isolement afin de palper un peu de quiétude. L'expérience cinématographique est d'autant plus probante qu'elle semble provenir du coeur et des tripes de son créateur et de tous ses comédiens. Voilà une odyssée dont on ne peut ressortir indemne.