Rédiger une critique
Vous devez être connecté pour pouvoir rédiger une critique.
Massacre misanthropique.
Comme il fait plaisir de découvrir enfin une Palme d’or qui soit drôle, plutôt fédératrice, en plus d’être très réussie. Bien évidemment, pas sûr que ce soit le type d’humour, auquel tout le monde goûte mais il semble difficile de ne pas au moins prendre un peu de plaisir au détour de quelques scènes, tant ce jeu de massacre qui n’épargne rien ni personne est parfaitement orchestré. C’est clairement outrancier et certains trouveront cela très vulgaire. Mais que c’est drôle et jouissif! On donc est face à une comédie acerbe, à l’humour très méchant, qui ne prend jamais des gants pour tirer à boulets rouges sur ses différentes cibles que sont les riches, le capitalisme, les influenceurs, les puissances d’argent, les oligarques ou encore le luxe. Mais « Sans filtre » n’oublie pas pour autant d’égaliser les comptes en piquant également parfois les plus démunis ou même le petit personnel, ce qui accouche d’une morale assez nihiliste sur l’humain et faisant de son œuvre un banquet royal de misanthropie parfaitement jubilatoire.
Le film est très long (plus de deux heures et demie) et il se divise en trois parties. Le premier chapitre, le plus court, sur le monde des mannequins et des influenceurs aurait pu constituer un film à lui seul tant il y a à dire sur ce microcosme empli de vide et de bêtise et même si la cible est plutôt facile. C’est d’une acuité folle, tout à fait mais objectivement absurde et cela montre d’une manière très réaliste les valeurs des personnes évoluant dans ce milieu (de la superficialité érigée au rang de dogme en passant par le côté intéressé et hypocrite). Piqués dans leurs pires travers, ces parvenus d’un monde déconnecté sont cloués au pilori via des dialogues affûtés et c’est tout à fait délicieux et grinçant. La seconde partie, la plus longue et la plus admirable, est en quelque sorte le plat de résistance. Les nantis, oligarques et riches entrepreneurs de ce monde tout comme le personnel aux petits soins pour ces gens ainsi que les travailleurs invisibles d’un yacht sont épinglés dans un joyeux bordel où la jouissance atteint son paroxysme lors d’un repas qui tourne au vinaigre. Les situations et échanges complètement absurdes mais crédibles s’enchainent à une vitesse folle et les moments culte sont légion. C’est bête, méchant et parfois grossier mais c’est totalement assumé. On est loin de la finesse d’un « Gosford Park » sur les rapports de classe mais le but est également atteint ici avec maestria.
Rüben Östlund réalise là son meilleur film haut la main, bien au-dessus du trop psychologique et hermétique « Snow Therapy » est bien mieux que sa précédente Palme d’or, la prétentieuse et ennuyante « The Square » qui critiquait le monde l’art. Ses images sont très soignées et il orchestre son dynamitage de l’ordre social de ce monde comme un chef. Les aberrations et paradoxes qui régissent nos sociétés sont pour la plupart mis en exergue avec force et fracas mais dans un concert d’éclats de rire. Tout le monde et tout en prend pour son grade. Dommage donc que la troisième partie sur l’île, qui se propose de rebattre les cartes, pour aboutir au même constat misanthrope, soit si étirée pour rien. Amusante au début, elle s’épuise vite et finit par nous ennuyer. Au final, quinze ou vingt minutes de moins auraient certainement été louables et auraient transformé cette Palme d’or folle et mal élevée en petit chef-d’œuvre. On se souviendra longtemps du naufrage apocalyptique du yacht et des échanges alcoolisés entre ce vieux russe ultra riche et un Woody Harrelson en capitaine alcoolique se délectent de nous offrir. Du caviar cinématographique qui aurait juste gagné à être plus affiné sur tous ces versants.
Plus de critiques cinéma sur ma page Facebook Ciné Ma Passion.