Ce n'est pas une tâche aisée que de critiquer un documentaire expérimental comme Samsara. Il n'y a pas là d'histoire à décortiquer, de jeux d'acteurs à étudier ou de scénario à éplucher, qu'une démarche artistique audacieuse (qui n'en est pas moins rudimentaire) qui mélange images et sons et qui nous laisse croire à du cinéma. Mais Samsara est-il un imposteur au sein d'un catalogue de productions presque exclusivement narratives? Pourquoi ce film sans dialogue, qui clame être une fenêtre sur le monde, serait-il meilleur que ces nombreuses vidéos que l'on peut visionner gratuitement sur Youtube présentant des photographies de paysages ou d'humains accompagnées de quelques citations ou proverbes aux ambitions philosophiques? La réponse, je ne la détiens malheureusement pas, parce que Samsara, malgré la beauté souvent saisissante de ses panoramas n'offre, quant à moi, rien de plus que ces insupportables montages en PowerPoint qui encombraient jadis ma boîte de courriel.
L'idée d'un long métrage de plus de 100 minutes sans aucune parole, sans aucun texte, sans aucune histoire à proprement parler, n'était pourtant pas complètement bête. Le principe de donner la chance au spectateur de se forger sa propre histoire et de ne pas l'influencer, ni le forcer à une opinion, à une idéologie, était assez noble et intrépide. Mais, même s'il n'y a pas de message manuscrit, il perdure un sous-texte assez subjectif. Quand on nous présente les poulets en ligne pour l'abattoir, on se doute que nous ne sommes pas en présence d'un hymne aux carnivores et les montagnes de déchets électroniques dans les pays sous-développés ne sont pas une ode à la consommation et à l’industrialisation non plus. On nous suggère, malgré l'absence de textes, des valeurs, justes, certes, mais tout de même forcées.
Et ces visages qui fixent la caméra, le regard livide et l'air consterné ne sont pas non plus d'une grande impartialité. On voulait probablement briser le cadre, ce quatrième mur qui représente la caméra au cinéma et les spectateurs au théâtre, mais l'effet n'est pas aussi poignant qu'il aurait pu l'être; la musique altérant considérablement la portée hypnotique de la chose. Samsara s'amuse beaucoup aussi avec la profondeur de champ, avec le point de convergence, la distance focale; toutes des choses qui dans les faits donnent des résultats pertinents au niveau visuel, mais qui, avouons-le, n'intéressent personne mis à part certains férus de cinéma ou de photographie.
On aurait aussi espéré qu'une oeuvre expérimentale comme prétend l'être Samsara fasse preuve de plus d'uniformité, de cohérence dans son langage. On sent bien la boucle, les images semblables à la fin et au début qui créent une certaine homogénéité, mais tout ce qui se trouve entre les deux manque de cohésion. Comme si on avait voulu toucher à tous les débats populaires mondiaux; la pauvreté, l'indifférence, la pollution, le port d'armes, la surconsommation, le végétarisme, l'épuisement professionnel, l'environnement, le féminisme, et j'en passe, et qu'on avait momentanément négligé l'ampleur de la tâche. Samsara avait de belles et de grandes ambitions, elles étaient simplement trop belles et trop grandes.