L'actrice Emerald Fennell avait surpris de nombreux cinéphiles avec sa première réalisation, Promising Young Woman. Cette satire savoureuse qui résonnait fort à l'ère #metoo s'est méritée l'Oscar du meilleur scénario original. De quel bois se chauffe son second long métrage à titre de cinéaste?
Saltburn ne risque pas de lui rapporter un second Oscar pour la qualité de son scénario. L'histoire est d'ailleurs le talon d'Achille de cette satire des classes sociales qui ressemble beaucoup trop à Parasite et Triangle of Sadness. Le 1 % de la planète en prendra pour son rhume, alors qu'un modeste étudiant (Barry Keoghan) arrive à se frayer un chemin dans ce monde privilégié en devenant ami avec un camarade artistocratique (Jacob Elordi).
Prévisible avec sa conclusion qui explique tout dans le détail, le script n'en demeure pas moins férocement divertissant, étant pimenté de dialogues à l'emporte-pièce. L'humour noir coule à flot et la scénariste ose avec ses scènes sexuelles qui rendront mal à l'aise... ou feront hurler de rire. Ce désir de provocation est évidemment une façade, palliant le manque de substance de l'ensemble.
Un des grands plaisirs de l'ouvrage est de noter tous ses hommages, décoder toutes ses influences. Cette histoire d'amour estivale sous fond d'érotisme ne ressemble-t-elle pas à Call Me By Your Name? L'étranger qui séduit ses hôtes renvoie au chef-d'oeuvre Théorème de Pasolini, le labyrinthe au Shining de Kubrick... Jusqu'à cette progression psychologique qui évoque Plein soleil - ou son remake The Talented Mr. Ripley - avec ses séquences de miroirs et de dualité.
La forme prend rapidement la mesure du fond, et la mise en scène luxueuse est un véritable plaisir à regarder. Les couleurs et les textures se mélangent allègrement, au fil d'un montage dynamique et sensuel. La photographie exemplaire de Linus Sandgren (fidèle collaborateur de Damien Chazelle et de David O. Russell) utilise un format d'image carré qui non seulement isole le protagoniste, mais limite ses perceptions.
Les choix sonores sont également plus que recommandables. L'intrigue qui se déroule en 2006 permet l'inclusion de mélodies imparables d'Arcade Fire, de Bloc Party et de Ladytron. Jusqu'à ce moment important et révélateur où le héros fait du karaoké sur un classique des Pet Shop Boys. Les compositions d'Anthony Willis ne sont pas en reste, séduisant par leur ton mélodique.
Ayant construit sa carrière en donnant vie à des individus naïfs (The Banshees of Inisherin) et manipulateurs (The Killing of a Sacred Deer), Barry Keoghan les combine ici avec vigueur, jouant l'obsession vampirique en évitant généralement de trop en mettre. Il tend toutefois à se faire voler la vedette par Jacob Elordi (qui personnifiait Elvis Presley dans le récent Priscilla). Le reste de cette famille nantie, qui s'amuse à regarder des créations comme Superbad et Ringu, se révèle impeccable. Et comme dans Parasite, l'impressionnante maison s'avère un personnage à part entière.
Sans tomber dans les excès d'un Babylon, Saltburn se révèle néanmoins tape-à-l'oeil, rappelant qu'il faut compenser le vide de ces classes huppées (et, par extrapolation, le scénario) en créant le maximum de bruit, de mouvements et de sensations fortes (le rôle de la réalisation). Peut-être que cela permettra d'insuffler un peu de vie à leur morne existence de zombies. Ce que ce film, irrévérencieux et peu subtil, réussit à merveille.