S'apparentant à de véritables montagnes russes, Bad Times at the El Royale divertit haut la main, sans toutefois se transformer en la véritable claque qu'il aurait dû être.
Scénariste sur des séries télé fantastiques et des longs métrages de science-fiction, Drew Goddard s'est fait un nom en 2012 en réalisant The Cabin in the Woods, une savoureuse satire où tout explosait littéralement à la fin. Après avoir déconstruit les codes du cinéma horrifique, il fait la même chose avec le film noir sans atteindre le même degré de maestria.
Se déroulant dans un motel sinueux à la Pyscho et mettant en scène quelques clients mystérieux dans la pure tradition des romans d'Agatha Christie, le récit qui s'amuse à déjouer les attentes ne tarde d'ailleurs pas à montrer l'envers de son décor. Dans ce lieu à la fois kitch et dangereux, il est possible d'accéder à un corridor secret et d'espionner les gens grâce à un immense miroir qui trône dans chaque pièce. Une leçon de voyeurisme que n'aurait pas reniée Brian De Palma.
C'est un élément parmi tant d'autres qui rend si agréable cette visite où rien n'est ce qu'il paraît. Alors qu'une tempête fait rage à l'extérieur (comme dans Key Largo de John Huston, afin de confiner les individus à quelques endroits précis tout en devenant la métaphore de leurs désarrois psychologiques), le cinéaste joue de diversion, de digressions et de transgressions, seulement pour étonner le spectateur qui a déjà tout vu.
Le meilleur moyen d'y arriver est de rendre hommage à Quentin Tarantino. Ainsi il y a un éclatement de la chronologie et des chapitres, avec cette multiplication de personnages et d'humour noir. Ce n'est pas Reservoir Dogs, mais ce n'est pas loin. Surtout que la trame sonore est choisie avec un immense soin et que la superbe photographie ne manque pas de délecter.
Imiter le maître n'est pas tout : il faut également son talent. Ce qui n'est pas toujours le cas de cette production tape-à-l'oeil. Les nombreux dialogues s'enlisent allègrement, brisant régulièrement un rythme déjà chancelant. Beaucoup trop long (2h20!), l'ensemble est parsemé de hauts jouissifs et de bas plus lassants, ne pouvant pas toujours compter sur ses élans comiques inégaux et ses surprenants artifices pour le sortir du pétrin lorsqu'il s'enlise.
Autant le scénario cumule les thèmes idéaux pour en faire une radioscopie de cette Amérique de la fin des années 60 (paranoïa propre de l'époque Nixon, Vietnam, pertes de repères du christianisme, montée des sectes et du mouvement hippie, etc.), autant tout est laissé en jachère, sacrifié au profit d'un gag qui fait mouche ou d'une mort aussi violente qu'inattendue. Si seul l'effet est recherché, pourquoi alors avoir perdu autant de temps à tenter de donner un semblant de profondeur et de complexité aux personnages?
Ces derniers ne sont que des clichés ambulants, relevés par le brio de leurs interprètes. Peut-être pas Dakota Johnson qui est aussi fade et ridicule que dans les Fifty Shades, mais certainement Jeff Bridges en religieux pas catholique, Jon Hamm en vendeur d'aspirateurs hors de l'ordinaire et Chris Hemsworth qui assure à nouveau avec son charisme légendaire. Ils se font toutefois tous éclipser par Cynthia Erivo, une comédienne de théâtre remarquable, qui campe une touchante chanteuse déchue. Le film n'aurait pu porter que sur elle! Dans un rôle secondaire, on remarque la présence de Xavier Dolan, très à l'aise à manier un accent qui est loin d'être évident.
Bad Times at the El Royale possédait le potentiel pour vraiment marquer au fer blanc les esprits, ce qu'il ne fait que rarement. Trop empêtré dans ses références, la création peine à exister par elle-même, ce qui ne l'empêche pas d'offrir un plaisir plus qu'honorable à quiconque est disposé à se prêter à ce jeu tordu.