L'immigration n'est pas un sujet phare dans notre cinématographie, au contraire. On a peu vu la chose dépeinte au grand écran chez nous. D'abord de par son originalité, puis pour ses qualités esthétiques remarquables, Ru se démarque... et marque. Charles-Olivier Michaud aborde l'histoire de Kim Thúy avec beaucoup de délicatesse. Ses images sans faille, ses plans de caméra audacieux et sa mise en scène sensible ont de quoi émouvoir le spectateur, même quand les mots manquent.
Le scénario de Jacques Davidts est construit comme un casse-tête. Débutant au Vietnam, puis se transportant rapidement au Québec, il fait ensuite des aller-retour entre la terre d'accueil et le lieu de naissance de Tinh et sa famille. Les épreuves que les protagonistes ont vécues (traversée en mer périlleuse, séjour dans un camp, etc.) nous sont donc présentées par fragments, ce qui décuple l'effet dramatique et nous ébranle d'autant plus. Si le flot lyrique de cette histoire plaira à plusieurs, certains seront peut-être agacés par la structure moins conventionnelle et les soudaines envolées poétiques.
Il n'y a pas de vrais « méchants » dans cette histoire. Tout le monde est armé de bonnes volontés. Les Québécois qui agissent comme parrains de la famille de Tinh sont parfois maladroits, mais toujours empathiques et compréhensifs. Karine Vanasse et Patrice Robitaille forment le couple typique de l'époque, et on s'y attache dès qu'on les rencontre. La jeune Chloé Djandji porte le film sur ses épaules. Même si elle parle peu, on arrive assez bien à comprendre les émotions qui la tiraillent. L'ensemble de la distribution est irréprochable.
Accompagné par son directeur photo Jean-François Lord, Charles-Olivier Michaud livre des scènes emplies de vérité et de compassion. Les plans larges, entre autres, dont celui à la cabane à sucre, impressionnent de par leur foudroyante authenticité. L'hiver est si beau dans la lentille de Michaud qu'on en oublie presque sa rigueur. Notons que la musique que Michel Corriveau a pianotée sur les plans du cinéaste québécois vient rehausser encore davantage le lustre de Ru.
En parfaite communion avec le roman original, ce film s'avère un doux hommage au Québec comme terre d'adoption. Malgré les écueils vécus par Tinh et sa famille, Ru s'entête à montrer le beau et porte l'espoir à grands coups de manteaux Kanuk et de pantoufles en phentex. Et si on s'en inspirait?