Fort d'une riche expérience de courts métrages, le réalisateur québécois Ivan Grbovic présente un premier long métrage de fiction prometteur qui, à défaut d'être parfait, est senti. Roméo onze sait profiter pleinement de son personnage principal, la seule véritable « trouvaille » du film, qui manoeuvre habilement à travers les attentes spectatorielles liées à une histoire comme celle-ci.
Rami, un jeune homme handicapé, vit chez ses parents avec ses soeurs, dont une est sur le point de se marier. Rami fait croire à son père qu'il fréquente l'école afin de s'inscrire aux HEC, mais il passe plutôt ses journées à déambuler dans les rues. Sur internet, il entretient une correspondance avec une fille, lui faisant croire qu'il est un homme d'affaires prospère. Un jour, il se décide à l'inviter pour un rendez-vous.
Incarné par Ali Ammar, Rami nous est immédiatement et éminemment sympathique, et on le regarde agir et interagir dans cet univers si minutieusement bâti par le réalisateur avec un grand intérêt qui se renouvelle sans cesse au fur et à mesure des interventions de personnages secondaires riches, dont sa soeur (Sanda Bourenane) et son père (Joseph Bou Nassar). En fait, si ce personnage central est si fort, c'est qu'il est merveilleusement entouré de personnages secondaires tout aussi puissants.
Le simple fait que ces acteurs soient tous peu connus, parfois même des débutants, place le récit dans un tout autre contexte, rare et précieux dans le cinéma québécois; celui d'un extrait d'un monde réel - crédible en fait - où le personnage est mis de l'avant dans son univers spécifique. Cela confère réalisme et humanité à l'oeuvre, bien davantage que si quelques vedettes y allaient de leur caméo.
Grbovic profite de son expérience narrative en court pour réaliser un long métrage sensible, qui n'est peut-être pas particulièrement créatif narrativement - en fait, quelques clichés paraissent ici et là, quelques ralentissements aussi - mais misant puissamment sur les images, à travers une cohérence globale réussie (le peu de mots, le temps nuageux, etc.). Une unité qui découle directement de la photographie de Sara Mishara, qui est aussi coscénariste.
Un revirement dramatique simpliste vient cependant faire craindre le pire. Alors qu'on avait, minutieusement et à l'aide de petits détails signifiants, établi une ambiance envoûtante, qu'on avait savamment utilisé les attentes des spectateurs pour créer une tension dramatique forte lors d'une scène de rendez-vous au restaurant, on bâcle un peu la résolution par une scène forcée dans un parc. La puissance accumulée s'envole et disparaît presque, jusqu'à la scène finale du mariage, jolie, efficace et bien plus réussie. Disons que c'est là que les personnages atteignent enfin leur plein potentiel dramatique et qu'encore une fois, le souci du détail du réalisateur nous saute aux yeux.
Heureusement, c'est ce qu'on garde en mémoire lorsqu'on se remémore Roméo onze; un premier film efficace et sensible, humble et spécifiquement cinématographique. Grbovic profite de son expérience narrative en court pour réaliser long métrage cohérent et maîtrisé, en tout cas assez pour laisser présager une belle sensibilité.