Pour adapter au goût du Québec moderne l'histoire d'amour la plus connue de tous les temps, il a fallu faire des sacrifices importants. Et parce que le public visé est ici les jeunes adolescents, il a fallu faire d'autres sacrifices. La question devant l'absolu demeure : le jeu en valait-il la chandelle?
Fort d'une grande expérience au théâtre, d'un premier film surprenant (Idole instantanée) et d'une passion certaine pour son sujet, le réalisateur Yves Desgagnés s'attaque, non sans audace, à l'adaptation moderne de Roméo et Juliette, de William Shakespeare, avec Normand Chaurette à la scénarisation. Rien à voir avec la version de Luhrmann d'il y a dix ans. Desgagnés réalise un film pour les adolescents en deux temps, qui tend la joue gauche dans la première partie pour recevoir tous les coups (sous forme de reproches, pas d'attaque physique) qu'il mérite, mais qui tend aussi la joue droite dans la deuxième partie, et s'évite les punitions en devenant soudain un film honnête et passionné. Par l'amour, par la jeunesse et par l'innocence. Désarmant comme dans attendrissant; à faire baisser les poings, même si la plupart des défauts ne se corrigent pas tandis que le film avance.
Juliette Véronneau, 15 ans, est la fille du juge Paul Véronneau, chargé de présider le plus grand procès de la justice moderne, celui du motard Réal Lamontagne. Sauf que lors d'un rave, elle fait la rencontre d'un mystérieux jeune garçon de 17 ans, Roméo Lamontagne, dont elle tombe amoureuse. Une passion réciproque qui s'enflamme rapidement, pour devenir l'histoire d'amour que l'on connaît.
La musique pop, les images du Vieux-Port de Montréal et les divers gadgets technologiques viennent ancrer dans son époque ce classique revisité, qui ne manque pas cependant de se terminer tragiquement, malgré les nombreuses libertés prises par rapport au texte original. Néanmoins, Roméo et Juliette n'est jamais si efficace que lorsqu'il se concentre sur les deux héros et leur intimité, le reste, c'est du remplissage.
Charlotte Aubin et Thomas Lalonde, les deux jeunes vedettes, se tirent étonnamment bien d'affaire, même s'ils sont le plus souvent laconiques. La jeune fille dégage une énergie contagieuse, mais les deux développent une belle complicité, tant dans leurs moments forts que leurs moments faibles. Certains personnages secondaires sont trop appuyés, mais pas Jeanne Moreau, qui est véritablement saisissante dans son rôle de confidente.
On pourrait aisément reprocher à Roméo et Juliette ses tendances maniérées. On simplifie tout au maximum pour mettre en place des personnages minces et des situations claires. On a sacrifié certains (plusieurs!) aspects logiques de l'histoire pour se concentrer sur la surface. Mais, comme la jeunesse, il faut bien que drame se fasse, et ces raccourcis servent à concentrer le récit sur les événements choisis expressément pour les jeunes.
Certains crieront à la maladresse, d'autres à la candeur, la réalité se situe probablement entre les deux, puisqu'on pourra toujours argumenter qu'une envie ne justifie pas un film. Alors même si on avait envie de faire un film pour adolescents... Mais ce ne serait pas rendre justice au film, qui, dans les faits, est un film pour jeunes adolescents réussi, tout à fait adapté. Sauf pour les scènes de sexe. Pas celles de nudité, celles-là sont facilement justifiables et donnent le ton du film : il y a (ou devrait y avoir) dans l'amour l'innocence de la jeunesse, des jeux d'enfants et leur absence de pudeur. Non, plutôt les scènes de relations sexuelles animées, voire turbulentes, qui détonnent dans un film qu'on sentait parfait pour les jeunes de 10 à 15 ans. Il faudrait vraiment inviter Yves Desgagnés à déjeuner pour comprendre ce qui lui a pris.
Alors, le jeu en valait-il la chandelle? On pourrait facilement dire non, mais ce ne serait pas rendre justice à l'effort qui a été fait. Ni au résultat, d'ailleurs. Mais se placer dans la peau d'une jeune fille de 13 ans est plus facile pour certains que pour d'autres, et c'est ce qui fera la différence. C'est un peu comme se demander si, pour Roméo et pour Juliette, avec le résultat qu'on lui connaît, l'amour en valait la chandelle. En mêlant ingénuité et maturité, on l'a peut-être brûlée par les deux bouts.
Pour adapter au goût du Québec moderne l'histoire d'amour la plus connue de tous les temps, il a fallu faire des sacrifices importants. Et parce que le public visé est ici les jeunes adolescents, il a fallu faire d'autres sacrifices. La question devant l'absolu demeure : le jeu en valait-il la chandelle?
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