Inégal; c'est le mot qu'on attache d'emblée à ce film gorgé d'instants jouissifs, puis imparfait et longuet. Un film difficile à accuser tant en raison de sa complexité narrative que de ses sujets et images percutantes. Un instant on nous plonge dans l'action, le suspense, la violence, et la seconde d'après, on nous ramène au point mort grâce à de longs silences, souvent portés par une émotion bien différente de celle véhiculée dans la séquence précédente. Cet hétéroclisme contribue à la puissance de l'oeuvre, certes, mais s'il avait été mieux contrôlé ou encore, plus découpé, l'ensemble de la production en aurait bénéficié.
Le film choral entraîne toujours le même problème; un imbroglio en raison du nombre important de protagonistes et des coupures nécessaires pour les introduire et les faire évoluer au sein d'un univers conséquent. Roche papier ciseaux brosse un portrait sommaire de ses personnages, les décrit habilement grâce à des images et des dialogues pertinents, mais le public reste tout de même avec l'impression de certains manquements agaçants. Le passé de ce médecin travaillant maintenant pour la pègre chinoise ne nous est en aucun temps révélé ni le rôle formel de ce Muffin au sein de l'organisation criminelle, ni même les raisons qui ont fait de Lorenzo un homme dépourvu monétairement. Évidemment, ces détails ne sont pas nécessaires à l'intelligibilité de l'oeuvre, qui se déroule dans le présent - ici et maintenant -, mais lorsque le public se pose des questions sans réponse de ce type, il devient distrait, perd le fil et, souvent, l'intérêt. C'est aussi là l'un des fléaux du film choral; pas suffisamment de temps pour établir la psychologie et le parcours des nombreux protagonistes.
Le drame dévoile pourtant des performances d'acteur saisissantes. Personne n'est étonné de voir Roy Dupuis briller sous les traits d'un médecin tourmenté, mais il est étonnant de constater la qualité de l'interprétation du rappeur Samian et celle de Roger Léger, d'une intensité inébranlable dans le rôle d'un homme de main qui voudrait être absous de ses fautes et recommencer une nouvelle vie, mais qui est prisonnier d'une machine encrassée qui le dépasse. Les Européens Remo Girone, Frédéric Chau et Victoria Zinny sont aussi fort habiles et donnent de la couleur à la production québécoise avec leur accent et leur langue étrangère.
Le style western spaghetti qu'a donné Yan Lanouette Turgeon à son premier long métrage s'avère également fort bien maîtrisé. L'esthétique du film - avec ses passages au noir et ses inscriptions lors d'arrêts sur image - apporte un exotisme à la production, un effet clinquant, presque faux, qui permet au long métrage de s'élever au-delà du réalisme et dédramatiser la violence et les horreurs qui y sont véhiculées. L'aspect factice aurait même pu être développé davantage pour dynamiser la production qui s'alourdit lorsque disparaissent les éléments plus ludiques.
Roche papier ciseaux est une initiative intelligente du cinéma québécois, mais une initiative inégale. Peut-être est-ce le montage qui nous amène cette impression de fouillis ou un scénario mal distribué, mais le film souffre inévitablement de l'une de ses qualités; son hétéroclisme. Mais, tout compte fait, pour certaines très bonnes scènes - dont une qui vous marquera par son sadisme et sa singularité -, Roche papier ciseaux mérite qu'on s'y attarde et qu'on en dise du bien.