Le sort des ouvriers étrangers qui viennent travailler temporairement au Québec a déjà été le sujet de quelques créations cinématographiques, que ce soit la superbe fiction Les oiseaux ivres ou le documentaire plus rugueux Ressources. Même André Forcier l'a abordé dans son jubilatoire Les fleurs oubliées. Pour son premier long métrage, Richelieu, Pier-Philippe Chevigny dresse un portrait implacable de la situation.
Le réalisateur et scénariste utilise comme fil d'Ariane une jeune traductrice (Ariane Castellanos) qui est déchirée entre son travail (elle a besoin d'argent pour payer ses dettes) et la réalité qui affecte des ouvriers guatémaltèques embauchés dans une usine agroalimentaire pour la saison. Doit-elle se battre pour dénoncer l'exploitation et faire valoir leurs droits, au risque de perdre son emploi?
L'effort complexe à souhait ne manque pas de dilemmes moraux. Le patron (Marc-André Grondin) est prêt à tout pour sauver l'entreprise et les travailleurs plient l'échine pour ne pas être renvoyés chez eux. Il n'y a pas de place ici pour le noir et blanc. Le gris gangrène ce système imparfait (pourquoi payer une cotisation syndicale s'il n'y a pas de syndicat?), alors que le profit demeure une priorité. Un peu plus et on se croirait chez Stéphane Brizé, dans son récent et excellent Un autre monde.
Le récit est rapidement tiraillé entre le souhait de démontrer les injustices et celui de faire réagir. Même si le courroux des personnages se fait amplement ressentir, il y a une quête de dignité chez eux. Le désir d'empathie est là (l'ombre d'Abbas Kiarostami n'est jamais loin), tout comme l'expérience de la solidarité sociale (bonjour Ken Loach). Dommage que cela passe parfois par des moments plus appuyés et didactiques, comme ces engueulades et toute la séquence à l'hôpital. Ce qu'il perd en subtilité, le film le gagne en émotion.
Le cinéaste génère de la tension en multipliant les plans-séquences. La caméra traque inlassablement l'héroïne, sauf quand elle se ressource au bord de l'eau. Les cadrages serrés évoquent l'enfermement, tandis qu'un grand soin a été apporté au hors-champ. Une mise en scène expressive de type documentaire qui rappelle celle des frères Dardenne, obligeant parfois le spectateur à retenir sa respiration.
Portant le long métrage sur ses épaules, Ariane Castellanos (déjà à l'affiche du court métrage Vétérane de Chevigny) fait preuve d'assurance, étant tour à tour vulnérable et déterminée. Elle domine une distribution où les interprètes donnent le meilleur de rôles qui relèvent parfois de la fonction. Marc-André Grondin étonne en boss détestable malgré ses raisons louables.
À la fois humaine, sociale et politique, Richelieu s'avère une oeuvre forte sur la nécessité de prendre position. Ce n'est pas nécessairement le film le plus original dans son fond et dans sa forme, mais le résultat fonctionne amplement, et c'est ce qui est le plus important. Enfin le retour du cinéma engagé au Québec!