Ressac s'ouvre sur une scène qui résume parfaitement le film. Tous les personnages importants y sont : Chloé, une adolescente un peu morose qui rêve de partir de ce petit village ennuyant; sa mère Gemma, renfermée, peu empathique, sévère et tourmentée; la grand-mère Dorine, sage et posée, et le père, Édouard, pratiquement toujours hors cadre, une présence fantomatique qui le restera tout au long du film. Les relations interpersonnelles sont à peine dévoilées que déjà, on n'y croit plus : qui sont ces gens?
Dans un film aussi près de ses personnages, il faut qu'ils nous semblent crédibles dès le départ. Or, ce sont ces gens qui ne se parlent pas, ne se regardent pas. On croirait que le père part parce qu'ils divorcent, pas parce qu'il doit chercher une job ailleurs à cause de la fermeture de la seule usine de la région. Qui sont ces gens qui quittent la pièce au moindre commentaire désagréable? Ce sont des personnages de film. Des personnages maniérés et simplistes, qu'on rencontre souvent dans des films étudiants, des personnages tellement écrits et conceptualisés qu'ils ne ressemblent à personne.
Les personnages posent d'autant plus des gestes étranges qui défient la logique : pourquoi aller voir quelqu'un, l'attendre à la sortie de son travail, pour lui annoncer qu'on ne veut plus le voir (Je suis venu te dire que je m'en vais, c'est joli quand c'est la poésie de Gainsbourg, mais là, dans ce monde réel/réaliste...), puis aller avec lui dans une chambre d'hôtel? Qui sont ces gens qui haïssent tellement leur fille qu'ils refusent qu'elle aille à son bal des finissants? Ces gens sont intangibles. Qui sont ces gens qui boivent directement au goulot d'une boîte de jus d'orange devant tous les membres de leur famille alors qu'ils se font sans doute avertir chaque matin d'utiliser un verre? Qui fait ça dans la vraie vie, honnêtement?
Ces gens existent sans doute, séparément, quelque part. Mais ils n'existent pas dans le film. Comme on pouvait s'en douter, la faiblesse des ces personnages centraux est fatale à Ressac. Le long métrage, qui propose parfois un portrait honnête et senti de la situation économique difficile d'une région québécoise, a quelques moments intéressants, quelques revirements habilement trouvés malgré un rythme mal dosé et de jolies images signées Philippe Roy. Mais on y revient toujours : qui sont ces gens?
Les interprètes ne peuvent pas surpasser la faiblesse de leur personnage, malgré un travail évident. En fait, chacune des trois comédiennes principales (Clémence Dufresne-Deslières, Nico Lagarde et Muriel Dutil) a l'occasion de se faire valoir à un moment ou à un autre, mais on est rarement véritablement interpellé par le récit, qui est étiré inutilement. On en aurait sans doute mieux saisi la force intrinsèque s'il était mieux resserré, d'autant que la finale s'étire sans raison.
Ce premier long métrage de fiction de Pascale Ferland (qui rappelle un peu le cinéma de Catherine Martin) est trop anecdotique et pas assez poétique pour apposer une empreinte durable sur le spectateur. On n'en retient que sa morosité et l'étrangeté de ses personnages, qui ne surpassent jamais leur statut de « personnages de film ». Un problème majeur.