Est-ce qu'il y a un réalisateur québécois plus libre que Denis Côté? Que l'on aime ou déteste son cinéma, il propose des films qui sont tout sauf ennuyants, développant des univers personnels immédiatement reconnaissables.
C'est ce qui fait à nouveau la richesse de Répertoire des villes disparues, qui débute comme le Camion de Rafaël Ouellet avec un terrible accident de voiture. Le décès brutal d'un jeune homme sème la consternation d'un petit village rural. C'est également à ce moment qu'apparaissent de mystérieuses silhouettes...
Ce n'est pas la première fois que le cinéaste flirte avec le surnaturel, le fantastique. Son magnifique Nos vies privées embrassait déjà ces possibilités insoupçonnées. Le voilà détourner minutieusement les codes, jouant avec les bruits, les ombres et les attentes afin d'offrir un faux film de genre.
Comme Les affamés, ce long métrage - son 11e depuis 2005! - ratisse beaucoup plus large, s'avérant une oeuvre d'inquiétude morale face à nos sociétés. Sur le simple plan sociopolitique, on peut y voir une métaphore de l'immigration. Cette peur face aux changements qui fait ressurgir la xénophobie. Qui sont ces entités, si ce ne sont de nouveaux arrivants?
Il n'est pas seulement question de l'Autre, mais également du Nous au sein de cette sensible odyssée mélancolique secouée par le deuil, à la fois humain et territorial, alors que les régions sont de plus en plus désertées au profit des grands centres urbains. Pas surprenant alors de voir autant de lieux désolés et austères, à l'image de la solitude des âmes. Devant cette mort, ces phénomènes invisibles, inconnus et inexpliqués, des questions métaphysiques s'imposent.
Répertoire des villes disparues propose ainsi un brillant condensé des peurs quotidiennes. Très librement adapté du livre de Laurence Olivier, Denis Côté le transpose à sa patte. On se retrouve comme souvent chez lui devant un récit mystérieux et opaque, qui s'emballe à mi-chemin avant de se terminer d'une façon qui ne satisfera pas tout le monde.
Le créateur s'est débarrassé de la rigueur formelle de Boris sans Béatrice pour revenir à un style plus aéré et allusif à la Curling qui lui va mieux. Le 16mm, la photographie désaturée, le grain et les poussières sont déjà annonciateurs de ses couleurs. On rajoute à cela une caméra souvent en mouvement qui rappelle l'errance des fantômes et l'effet est total.
Déjà ses décors ravagés par le froid et le blanc sont source de poésie. Le véritable héros n'est pas tant les dix personnages qui gravitent dans l'histoire que le village lui-même et surtout la neige. Cela n'enlève rien aux interprètes, généralement solides, qui rappellent que les acteurs comiques comme Diane Lavallée, Josée Deschênes et Jean-Michel Anctil se défendent très bien dans le drame, tandis que Larissa Corriveau est certainement un de nos plus grands joyaux.
Se situant dans la section plus «accessible» de son auteur, Répertoire des villes disparues souffre malheureusement d'un rythme un peu léthargique, de personnages superflus et d'un humour pince-sans-rire parfois facile, surtout déployé chez ce couple de baby-boomers. Une caricature qui peut paraître appuyée, à l'image d'un discours tardif lors d'une assemblée où pratiquement toutes les clés sont révélées. De quoi ébranler le fragile climat construit jusque-là, qui tenait très bien la route. Surtout que le tout se termine en boutade avec un plan que n'aurait pas renié M. Night Shyamalan.
Le film a cependant trop à offrir pour qu'on ne s'y attarde pas. Le cinéphile retiendra d'ailleurs ce qu'il veut de ce buffet riche et chargé, un brin frustrant, mais plus émotif et moins cérébral que la grande majorité des opus de son réalisateur.