Que serait-on sans les traditions cinématographiques? Il y a les superproductions hollywoodiennes pendant l'été, les «films à Oscars» pour Noël et les suspenses horrifiques qui débarquent généralement le premier vendredi de chaque nouvelle année. The Grudge s'occupe de ce rôle pour 2020.
Le titre sonnera certainement une cloche chez les amateurs du genre. N'y avait-il pas eu un long métrage douteux avec Sarah Michelle Gellar qui a pris l'affiche en 2004? Les plus cinéphiles se rappelleront surtout du traumatisant classique japonais de Takashi Shimizu (intitulé Ju-on) qui est sorti au début du présent siècle. Un thriller d'épouvante qui a marqué au fer blanc sa génération.
Voici la bête retentir dans cette relecture à la fois libre et fidèle, qui déménage ses pénates aux États-Unis pour étayer une nouvelle intrigue de maison hantée et de gens possédés. La mort plane à l'horizon, se métamorphosant proprement à l'écran par des cauchemars et visions, qui prennent racine dans le mal-être des âmes en place. Des personnages fragiles qui n'ont pas encore accepté l'inéluctable et qui risquent de se laisser emporter par cette grande noirceur environnante.
Beaucoup plus psychologique que son modèle, cette plus récente version de The Grudge n'en demeure pas moins plus superficielle et racoleuse avec ses ellipses préfabriquées, ses revirements surexpliqués et sa musique omniprésente qui est là pou relever les éléments de pathos et de mélo. Ce qui semble complexe se réduit comme peau de chagrin, laissant une intrigue nue qui a énormément de difficulté à se réinventer.
Face à des situations de plus en plus ridicules, des acteurs talentueux - Andrea Riseborough, Demian Bichir, John Cho - n'ont aucun autre choix que de jouer le jeu... même s'ils vont probablement enlever ce film de leur curriculum vitae tant ils n'ont rien à défendre. C'est surtout dommage pour Jacki Weaver, capable de tellement mieux (Animal Kingdom, ça c'était effrayant!), et la scream queen par excellence Lin Shaye.
Face à un Ari Aster (Hereditary) qui est capable de transcender un sujet éprouvé par une mise en scène inspirée, le cinéaste Nicolas Pesce fait piètre figure. S'il y en a pourtant un qui est à l'aise dans le cinéma de genre, c'est bien lui, comme en fait foi son surprenant The Eyes of My Mother et son satisfaisant Piercing qui s'inspirait du délirant bouquin de Ryu Murakami (le père du mémorable Audition). Sauf que dans un registre plus contraint de productions de studios, sa liberté et son style en pâtissent. L'important n'est pas tant de payer des hommages à The Exorcist ou d'offrir des clins d'oeil (l'action se déroulerait en parallèle du film original... bonjour l'univers étendu à la Conjuring en cas de succès!) qu'à créer un récit qui tienne la route.
C'est rarement le cas de cette création sans rythme ni tension, qui semble aussi fatiguée que ses personnages. Il était possible de lui pardonner tous ses défauts... à condition que les moments réellement effrayants soient de la partie. Mauvaise nouvelle: il n'y en a pratiquement pas! Le réalisateur fait pourtant tout ce qui est en son pouvoir pour multiplier les sursauts gratuits, les apparitions dégoûtantes et les zones sombres menaçantes. Rien n'y fait, et hormis un ou deux moments plus soutenus, c'est le rire qui a le dernier mot.
Vers la fin du long métrage, on ne cesse de répéter la phrase «What have you done?'. « Qu'avez-vous fait? ». Voilà la question qu'il faut adresser aux concepteurs de cette nouvelle mouture qui sont parvenus à transformer une des oeuvres les plus épeurantes du septième art contemporain en un produit interchangeable et anonyme, bien terne et sage. Comme exploit, c'en est tout un.