Pas besoin d'un doctorat en cinéma pour voir les similitudes entre Que ta joie demeure et Bestiaire, un essai cinématographique du même réalisateur sorti en 2012. Dans la durée, dans le dispositif et dans l'absence apparente de commentaire (nous verrons cela), ces deux films de Denis Côté se répondent et partagent une situation d'observateur qui réfère à la définition même du cinéma, à la lentille de la caméra comme à l'oeil de celui qui filme. L'intérêt y est anthropologique, mais au final assez peu formel, surtout que le réalisateur nous a habitués à plus d'audace.
Après Vic + Flo ont vu un ours, qui affirmait encore plus la capacité du réalisateur à manipuler le spectateur, cette incursion dans les chaînes de montage se prétend sans enjeux sociaux, se réclamant plutôt de la poésie et de la beauté du geste (un phénomène déjà exploré avec le taxidermiste dans Bestiaire). Or, il est peu probable que le spectateur en reste là, même si Que ta joie demeure confond habilement les pistes : aux séquences « documentaires » se greffent des comédiens et un texte très assumé qui embrouillent encore davantage la mince ligne entre l'observateur et le signataire.
Que ta joie demeure est donc nécessairement inégal car pas assez affirmé. Il a le défaut de la redondance et le défaut du refus de l'engagement, car le cinéma, nous en sommes persuadés, ne permet pas cette objectivité.
L'un des problèmes, c'est que ce sujet est si connoté, si fréquemment abordé au cinéma, qu'il est ardu de ne pas l'envisager sous un angle engagé, même prolétaire. Le réalisateur lui-même s'en défend ardemment, et avec raison (cela détonnerait dans sa filmographie), mais cette association d'idées entre la répétition de gestes quotidiens et une porte ouverte sur un espace vert ne sont pas loin d'un commentaire social. Et de filmer des travailleurs, des ouvriers (et d'utiliser des lettres de l'alphabet cyrillique sur son affiche), comme il filmait des animaux n'est pas loin d'un commentaire non plus...
De toute façon, le film n'a pas besoin de commentaire ni d'accompagnement pour en sous-entendre un; c'est un film de Denis Côté après tout. L'exploration rejoint l'expérimentation. Ce film démontre une maîtrise technique et une assurance indubitables. Après Bestiaire cependant, rien de tout ça n'est bien neuf, surtout que dans ce dernier cas, on examinait surtout l'impact sur le spectateur... Les scènes véritablement cruciales sont dispersées ça et là dans Que ta joie demeure, qui s'inscrit plus que jamais dans la filmographique de Côté comme la partie d'un tout plutôt que comme un progrès significatif.