De tous les premiers films québécois à avoir pris l'affiche en 2018, Quand l'amour se creuse un trou est certainement l'un des plus audacieux. Un des plus casse-gueules aussi. Une drôle de bibitte à prendre ou à laisser... mais également à apprivoiser.
Peut-être est-ce son sujet qui donne cette impression. Une histoire d'amour entre un ado de 17 ans (Robert Naylor, qui signe également l'exquise trame sonore) et une femme de 73 ans (France Castel) ne pourra pas être banale. On pense évidemment au classique Harold and Maude, mais également près près de chez nous dérangeant Gerontophilia et au plus normal Les grandes chaleurs. Surtout qu'il est réalisé par Ara Ball, ce cinéaste punk qui a laissé une forte impression avec ses courts métrages enragés et provocateurs.
Quelle surprise d'apprendre que son premier long métrage n'emprunte pas cette tangente. Au contraire, Quand l'amour se creuse un trou est beaucoup plus tendre et poétique, philosophique à ses heures, avec ses héros qui cherchent le bonheur dans un univers où le conformisme mène le bal. Habitué aux rôles de jeunes rebelles renfrognés, Robert Naylor montre une nouvelle facette de son talent. Et quel bonheur de voir enfin France Castel longtemps à l'écran, elle qui n'a obtenu dernièrement que des apparitions furtives au cinéma (chez Forcier, notamment)! L'être qu'elle interprète possède une folie que seule l'actrice pouvait lui amener. Lorsque vient le temps de s'embrasser, la déflagration électrique est totale.
Malgré le brio des comédiens (du couple atypique, mais également de Patrice Robitaille et de Julie Le Breton en parents exigeants du héros) et la sensibilité des thèmes en place (solitude, sexualité chez les personnes du troisième âge), la qualité des dialogues laisse à désirer. Ils ont beau être sensibles, distillant des valeurs importantes et nécessaires, le rendu n'est pas toujours crédible. Quel ado dirait « j'ai le goût de partager, ça fait partie de mon évolution »? Puis il y a cette septuagénaire qui passe son temps à faire la morale avec des répliques appuyées du type « si on ne prend pas soin de ce qui nous entoure, les problèmes peuvent arriver », «chaque jour, quelque chose naît et meure dans mon jardin» et «il faut accepter les choses comme elles sont».
Quelques-uns décrocheront devant ces maladresses d'écriture. Mais si, au final, elles sont voulues au sein d'une oeuvre dont le coeur dramatique devient subtilement comique et ultimement satirique? Cela expliquerait tous ces rêves et cauchemars, ces surprises et fantasmes qui font peu à peu explorer le réel. En rentrant tête première dans l'imaginaire, tout est permis, dont cette faculté de s'exprimer autrement, de se rapprocher de ses sentiments.
Une impression renforcée par le travail de réalisation. Tout ce qui touche les amoureux est animé par un flux de vie. Il y a des plans-séquences avec caméra à l'épaule, une riche palette de couleurs, de la lumière naturelle. Cela s'éteint lorsque ce sont les parents qui mènent le bal. Des séquences plus routinières qui reflètent leur état d'esprit. Dans une très belle scène où le paternel découvre le pot au rose, le saut dans la réalité de son fils se fera de manière cinématographique.
Alors qu'on pourra reprocher un développement quelque peu superficiel des personnages, un sous texte politique anime le récit en sourdine. Comme dans La chute de Sparte, l'ombre de Gaston Miron plane (le protagoniste s'appelle justement Miron). L'adolescence n'est-ce justement pas cet âge d'émancipation vis-à-vis de ses parents? Un désir de liberté, de voler de ses propres ailes, qui est soutenu par quelques détails subtils (l'action se déroule en 1995 pendant le référendum, les drapeaux québécois et le Oui tant souhaité apparaissent furtivement à l'arrière-plan).
Imparfait mais sincère, transcendant allègrement ses références (Harold and Maude, mais aussi The Graduate, My Own Private Idaho, l'oeuvre de Richard Linklater et The Shawshank Redemption dans l'hilarante dernière partie), Quand l'amour se creuse un trou essaie plein de choses, au risque de déplaire. Le ton a beau être spécial, c'est également cette propension au délire qui en fait un objet à part. De quoi en ressortir amusé, surtout après cette finale hallucinante qui célèbre les vertus de l'authenticité, de la passion amoureuse et d'un monde meilleur. À voir en doublé avec l'encore plus particulier et abouti All You Can Eat Bouddha de Ian Lagarde pour se rappeler que le septième art d'ici peut aller loin dans le champ gauche.