La dernière année a été marquée par de grandes fresques comme Parasite, qui a remporté contre toutes attentes l'Oscar du meilleur film. Tout aussi important et inspirant se dresse Portrait de la jeune fille en feu qui agit à différents niveaux.
Il y a d'abord celui cinématographique, évidemment, qui happe dès les premières minutes, magnifiques à bien des égards. Après une courte entrée en matière, le cinéphile a l'impression de se retrouver devant l'exquis The Piano de Jane Campion tant la photographie et les soins esthétiques atteignent des sommets, se déchaînant littéralement sur une petite île bretonne de la seconde moitié du 18e siècle où Marianne (Noémie Merlant) est embauchée afin de peindre à son insu Héloïse (Adèle Haenel) qui doit bientôt se marier.
Deux solitudes qui finiront par disparaître comme peau de chagrin. Lorsqu'elles sont ensemble, les champs contrechamps n'ont plus de raison d'exister, les plans s'allongent et le temps ralentit. Une histoire d'amour naît littéralement sous nos yeux, celle du coeur et des arts, qui prend forme par le jeu extraordinaire de ses deux interprètes et par la mise en scène faussement académique de Céline Sciamma, qui laisse pour l'occasion de côté ses récits d'apprentissage (Tomboy, Bande de filles). Plus encore que sur son excellent La naissance des pieuvres qui a lancé la carrière d'Adèle Haenel, elle filme la lente montée du désir avec une rare maestria, attendant le bon moment pour la laisser rejaillir. Un plaisir sensuel et intellectuel qui pourrait cependant paraître trop chaste et froid pour certains spectateurs.
Portrait de la jeune fille en feu est toutefois bien plus qu'une romance comme les autres. Son scénario puissant, à juste titre récompensé au dernier Festival de Cannes, se décuple encore et encore, à la façon de ces dialogues parfois récités dont chaque mot évoque mille images. Les héroïnes, prisonnières des conventions patriarcales de l'époque où leur destin réside au mariage, au suicide ou comme religieuses, soupirent en rêvant d'un monde meilleur et plus égalitaire. Une soif de liberté que l'on retrouvera, l'espace de quelques jours, dans ce lieu pratiquement dénué d'hommes, où les femmes n'auront aucun autre choix que de s'entraider. Cette solidarité donnera par ailleurs naissance à quelques moments qui élèvent l'âme et d'autres carrément bouleversants, comme cette finale sous les airs de Vivaldi qui hantera longtemps.
Le récit semble relever de l'utopie. Sauf que la réalisatrice et scénariste française ouvre le champ des possibles en rendant l'impossible souhaitable et même envisageable. Tout passe ainsi par le regard. Celui de Marianne pour Héloïse qui la considère comme son égale et pas comme une simple muse. Une foi envers l'autre, même si le mythe d'Eurydice n'est jamais bien loin et que les illusions risquent d'avoir le dernier mot. Puis il y a le regard de la cinéaste qui s'intéresse et montre ce qui est généralement peu représenté à l'écran : le quotidien d'une peintre dont les créations sont trop souvent absentes des musées, un amour lesbien, une séquence d'avortement, etc. Sa sensibilité féminine et féministe transcende l'écran, faisant de cet objet essentiel un long métrage politique s'inscrivant parfaitement dans son époque, où le regard féminin vaut malheureusement encore moins que son pendant masculin. Pourtant il mérite seulement d'être reconnu, soutenu et encouragé, ce qui pourrait un jour ou l'autre transformer l'art (le cinéma, la peinture...), la société et le coeur des gens.
À classer instantanément parmi les plus belles histoires d'amour de la dernière décennie aux côtés de Carol, Call Me By Your Name et La vie d'Adèle, Portrait de la jeune fille en feu a tout du chef-d'oeuvre instantané. Comme cadeau de Saint-Valentin, il n'y a certainement rien de mieux.