On pourra certainement discourir encore des années sur la pertinence de faire un film sur la tuerie de Polytechnique. Les passions s'enflamment rapidement face à ce sujet délicat. Mais comme ce tragique événement du 6 décembre 1989 date d'il y a déjà près de vingt ans, toute une génération de jeunes (dont je suis) n'ont pas connu le malaise social généralisé qui a suivi. Le film ne tombe pas dans le piège de « l'hommage », et n'est pas cette lettre d'excuses aux femmes qu'on appréhendait. Il est plutôt ancré dans le réel, dans la mesure où les émotions dont il est saturé - et qui sont dues à une maîtrise technique du code cinématographique - pourraient s'appliquer à toutes les tueries et à tous les tueurs fous. Il n'y a pas de morts « pires » que d'autres; elles sont toutes d'une grande tristesse et c'est ce que le film, sobre et poignant, parvient à démontrer.
Un jeune homme fait irruption dans les corridors de l'École Polytechnique avec l'intention de se suicider et d'emmener avec lui dans la mort le plus de femmes possibles, voulant se venger des féministes qui lui ont gâché la vie. Valérie, qui vient d'obtenir un important stage, et Jean-François, un de ses camarades, vivent le drame de l'intérieur.
À la barre, Denis Villeneuve - sans doute l'un des meilleurs plasticiens de sa génération, en ce sens qu'il insuffle à ses images une profondeur émotive exceptionnelle - montre sans commenter les événements qui se déroulent sous nos yeux; de la violence, du sang, de l'horreur mais pas de sensationnalisme déplacé. Quand 15 personnes meurent, il ne peut y avoir de héros. Le noir est blanc est d'une humilité nécessaire; adoucissant la vue du sang et posant une distance nécessaire entre ce chaos qui ne peut pas être réel mais qui l'est pourtant. La caméra de Villeneuve et du directeur-photo Pierre Gill, qui fait un travail exceptionnel, sert le récit en ce qu'elle est aussi étourdissante que ces 19 minutes ont pu l'être il y a vingt ans. Du vrai travail bien fait, appuyé encore par le bruit des coups de fusil - d'une efficacité si grand qu'on souhaite ne plus jamais l'entendre.
Les comédiens, dont l'excellent Maxim Gaudette, se tirent extrêmement bien d'affaire; les interprétations sont senties sans être larmoyantes et la tension est sobrement mais efficacement partagée. Gaudette en particulier est prisonnier d'un rôle ingrat et exigeant qui marquera sans doute les mémoires. Karine Vanasse et Sébastien Huberdeau accomplissent le défi de sembler « réalistes » alors que la situation est complètement surréelle. Tous les trois sont excellents.
Tous ces bons mots s'appliquent en fait à 95 % du film. Car les derniers instants du long métrage sont les seuls à s'écarter de la direction choisie. Toutes ces émotions qui étaient obtenues à force de travail et de manipulation du médium cinéma sont maintenant imposées, brutalement et sans plus de cérémonie, à un spectateur qui n'en veut pas. La voix-off, quétaine au possible, ne vient heureusement pas gâcher l'expérience mais laisse un goût très amer à la fin d'un long métrage qui aurait pu aller davantage à l'essentiel. Des bons sentiments qui trahissent une intention de donner un peu d'espoir alors qu'il était temps de vivre un deuil. De dire ça démontre encore une fois l'efficacité du film.
Reste que Polytechnique est un film d'une grande efficacité qui n'est ni choquant, ni irrespectueux. Il est tout le contraire, en fait; ses images sont d'une grande beauté et ses émotions d'un grand respect, autant pour les victimes du passé que pour les spectateurs du présent.
Il n'y a pas de morts « pires » que d'autres; elles sont toutes d'une grande tristesse et c'est ce que le film, sobre et poignant, parvient à démontrer.
Contenu Partenaire