En l'espace de deux films puissants, le cinéma français est parvenu à rendre compte avec brio de l'épidémie du sida qui sévissait au début des années 90 et de l'urgence de vivre. D'abord par l'excellent 120 battements par minute de Robin Campillo qui posait un regard clinique sur la situation tout en multipliant les moments de grâce. Puis avec Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré, une oeuvre presque aussi essentielle et tout aussi déchirante, qui hantera pendant longtemps.
Un sentiment de blues plane sur cette création éminemment personnelle, dont la couleur bleue semble être de tous les plans. Les débuts euphoriques se heurtent le nez à la mélancolie, alors que la légèreté a tôt fait de céder le pas à la gravité. Le saut d'une émotion à l'autre est constant et d'une grande fluidité, faisant rire et pleurer au même moment. Surtout lors de la conclusion qui pèse telle une épée de Damoclès.
Au centre de cet échiquier de sentiments, d'amitié, de sexe, de peur et de douleur se dressent de beaux personnages, imparfaits mais attachants, qui séduisent par leur complexité. Découvert dans L'inconnu du lac, Pierre Deladonchamps mène le jeu avec intensité et vulnérabilité, formant une danse nuancée avec Vincent Lacoste (Hippocrate), expressif à souhait. Leur rencontre dans une salle de cinéma devant le majestueux The Piano de Jane Campion est un des moments forts de ce long métrage sensuel et âpre à la fois. Le toujours exquis Denis Podalydès amène tendresse et ludisme à cette histoire prévisible, mais extrêmement touchante. Voir ce trio danser ou s'allonger dans le lit - comme dans Les chansons d'amour! - offre d'ailleurs un plaisir incommensurable.
Sans s'être débarrassé de tous ses tics prétentieux et autoréférentiels (un hommage à Godard par-ci, une allusion à Truffaut par-là), Christopher Honoré signe son meilleur film depuis Les bien-aimés. Son expérimentation dans la forme ne se fait jamais au détriment du récit. Mieux, il offre une symbiose de ses différents talents, y insufflant son style immédiatement reconnaissable. Si pour une rare fois ses héros ne font pas écho à ceux de Jacques Demy en chantant allègrement, ce désir d'évasion et de liberté par la musique est bien réel, apparaissant par des dialogues parfois empotés, mais souvent enchantés, laissant la part belle aux mélodies retroussées (et généralement anglophones).
Non sans errance, langueur et longueur sans doute voulue, Plaire, aimer et courir vite place à nouveau dans le cinéma d'Honoré le temps au coeur de ses préoccupations, à un moment où il manque cruellement. Cela finit par créer une fulgurance d'esprit et de corps, amplifiant du coup la beauté du geste d'aimer et d'être aimé. Lorsqu'on peut tout perdre presque instantanément, il faut apprendre à vivre dans le moment présent.