Si vous voulez un scénario intelligent, hilarant et implacable, demandez au duo formé d'Agnès Jaoui et de Jean-Pierre Bacri. Pendant une décennie et des poussières, ils ont écrit les meilleurs du septième art francophone, remportant pas moins de quatre Césars et un prix à Cannes.
Mais beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis 1993 et leur script pour le formidable diptyque Smoking/No Smoking d'Alain Resnais. Il y a eu les excellents opus des autres (Un air de famille, On connaît la chanson) et leurs propres sommets avec Le goût des autres et Comme une image en 2004. Malgré leurs qualités indéniables, leurs films suivants (Parlez-moi de la pluie, Au bout du conte) n'étaient pas aussi affûtés et mémorables. Le récent Place publique s'inscrit également dans cette veine.
On retrouve pourtant tout ce qui fait le charme de cet ancien couple : le clash des classes sociales, les confrontations de valeurs entre la gauche et la droite, la critique de la société du spectacle, le culte de la célébrité, les dialogues qui fondent dans la bouche, ces hordes de personnages qui parlent pour ne rien dire en faisant semblant d'écouter leur interlocuteur, etc. Ces malaises affectent évidemment la sphère sentimentale et familiale, envenimant du même coup les relations amicales et de travail. On s'intéresse cette fois davantage aux répercussions du temps, à savoir si les idéaux passés sont encore présents ou s'ils se sont transformés en amertume. Tout en créant des liens avec les jeunes générations (réseaux sociaux bonjour!) et en mettant au banc des accusés ce cynisme de plus en plus généralisé d'une façon que n'aurait pas renié Sébastien Pilote sur son joli La disparition des lucioles.
En voilà une matière riche et importante, quelque part entre celle de Woody Allen et de Sacha Guitry. Le traitement manque cependant de leur vitriol habituel. Le goût des autres est un chef-d'oeuvre d'écriture, car il met sans se défiler le doigt là où ça fait mal. Place publique titille plutôt la plaie, ratissant large en demeurant un peu en surface. C'est ainsi parfois drôle, souvent doux-amer, mais on n'en ressort que trop rarement bouleversé dans ses convictions. Dès qu'une réplique plus incisive fait mouche et que l'humiliation involontaire en découle, le choc est atténué par un gag plus léger et une mélodie sucrée (rien à redire cependant de la finale relevée sur les airs d'Alain Bashung). Comme si le caustique disparaissait au profit d'une charge mélancolique.
Il s'agit toutefois du matériel idéal pour que les acteurs brillent. Plus ours mal léché que jamais, Bacri s'amuse comme un petit fou, envoyant des vannes à profusion. Il vole aisément la vedette à Léa Drucker en productrice volontairement caricaturée et à Agnès Jaloui, touchante en ex-épouse dont le feu sacré commence à faiblir. Le reste de la distribution est également à l'avenant, plus amusant que réellement enlevant. La discrète mise en scène de type théâtral qui épouse les codes du huis clos est évidemment là pour soutenir et mettre en valeur les comédiens. De quoi rapprocher l'ensemble de son modèle inavoué : l'immense La règle du jeu de Jean Renoir.
Ce qui n'aide pas Place publique est que le populaire long métrage Le sens de la fête a pris l'affiche quelques mois auparavant. Les deux films se ressemblent beaucoup, autant dans l'unité de lieu, de temps et de thèmes. Il est également question d'une grande célébration, des rapports entre ses invités, de révélations dommageables et de l'électricité qui vient à manquer. L'effort d'Éric Toledano et d'Olivier Nakache est sans doute plus comique et immédiat. Sauf que celui d'Agnès Jaoui s'avère beaucoup plus subtil et délicat, ne s'oubliant pas aussi rapidement. Mais il risque de rester dans l'ombre, ce qui serait bien dommage, même s'il ne comporte pas la même verve que ses illustres prédécesseurs.