Pinocchio risque d'être omniprésent sur les écrans d'ici les prochains mois et années. En attendant les versions de Guillermo del Toro pour Netflix et de Robert Zemeckis pour Disney, place à celle extrêmement fidèle de Matteo Garrone.
Le choix peut surprendre. Qu'est-ce qui pouvait intéresser le réalisateur du grandiose Gomorra dans le chef-d'oeuvre de Carlo Collodi? C'est oublier que le cinéaste italien a toujours puisé au coeur même du conte (dans Réalité et son excellent Dogman), se tournant d'ailleurs vers la fable pour son puissant Tale of Tales.
C'est dans cette optique qu'il faut aborder cette nouvelle aventure du mythique pantin en bois. La référence demeure évidemment le sombre dessin animé de Disney et Garrone en offre une vision encore plus noire et traumatisante, en phase avec les écrits originaux. Notre héros va perdre ses pieds dans le feu, finira pendu et sera notamment jeté à la mer, attaché à une roche!
Pas certain que les plus jeunes pourront tout supporter tant l'angoisse y est présente. Alors que les adultes trouveront parfois le temps long devant les quelques gags répétitifs et poussifs destinés à un auditoire enfantin. Mais à qui s'adresse ce film?
Voilà le principal dilemme de la création qui évoque tour à tour le cinéma de Terry Gilliam, Tim Burton, David Lynch, Alejandro Jodorowsky, le Freaks de Tod Browning et le Candide de Voltaire. Le récit picaresque en est un de rencontres afin de remettre la morale à la bonne place de notre protagoniste chenapan. La douloureuse pauvreté ambiante issue du réalisme social est sublimée par un appel à la féérie, au fantastique et à la poésie, offrant quelques scènes d'une puissance phénoménale.
L'oeuvre est en constante dualité, alternant entre les moments magiques et d'autres où le rythme laisse carrément à désirer. Les interprètes offrent des prestations tantôt renversantes tantôt décevantes. Parfois même les deux au même moment, comme c'est le cas du Geppetto campé par Roberto Benigni (qui avait déjà, deux décennies plus tôt, incarné Pinocchio dans une transposition assez catastrophique) qui demeure égal à lui-même : à la fois extrêmement touchant et énervant de mimiques exaspérantes.
Cela se répercute également dans la mise en scène, soignée et enlevante au premier regard, mais qui se révèle plus consensuelle dans ses détours académiques (la jolie musique trop léchée de Dario Marianelli, par exemple). Esthétiquement, l'oeuvre en impose avec ses détails hallucinants qui rappellent les fresques de Goya et d'Enrico Mazzanti. Mais pourquoi alors la marionnette interprétée avec fougue par le jeune Federico Ielapi donne-t-elle froid dans le dos avec ses prothèses et ses facéties à la Freddy Krueger? La faune qui l'entoure force également l'admiration. Sauf que ce sont les personnages douteux visuellement (le grillon, l'immense requin-baleine de la fin) qui font le plus sourciller tant le grotesque vient constamment brouiller les cartes.
Omniprésent dans la culture populaire (pensons seulement à Astro ou le A.I. de Steven Spielberg), Pinocchio devient un objet de curiosité devant la caméra de Matteo Garrone, qui jongle avec les thèmes de l'opus original - chercher sa place dans le monde, les défis de la paternité, le merveilleux comme antidote à la misère et violence du genre humain - sans nécessairement toujours trouver le bon ton, qui passe en un instant du ludique à l'hyper dramatique. Au moins, il s'agit d'une version d'un auteur qui possède une véritable vision, non édulcorée, et qui n'a aucun équivalent au sein de toutes les adaptations qui se sont succédé depuis le chef-d'oeuvre de 1881. Juste pour ça, l'ensemble mérite qu'on s'y attarde.