« Amour, amour, amour, amour... », chantait l'héroïne de Peau d'âne. Le plus vieux sentiment du monde continue à diriger le septième art, apparaissant trois fois plutôt qu'une dans l'exquis Perdrix.
Il y a d'abord l'amour éternel d'une mère (Fanny Ardant) toujours entichée de son mari décédé. Puis l'amour filial d'un père (Nicolas Maury) pour sa fille adolescente tourmentée. Enfin l'amour passion d'un policier (Swann Arlaud) envers une inconnue délurée (Maud Wyler), dont la simple présence au sein du clan Perdrix risque de semer la pagaille. Un malaise prenant une forme plus existentielle que sexuelle, n'en déplaise aux fans du chef-d'oeuvre Théorème de Pasolini qui reprenait déjà ce schéma.
Ce sujet classique décuplé en trois temps - et dont les dialogues savoureux fondent dans la bouche comme chez Rohmer - sert à explorer une multitude de thèmes de la condition humaine. La solitude mélancolique, évidemment, mais surtout ce désir de se sentir vraiment vivant, de se libérer du joug des apparences afin d'être réellement au monde. Est-ce que la vie que l'on vit est vraiment la nôtre? Pour le savoir, il faut se dénuder de ses inhibitions et redéfinir ses frontières face aux autres et à soi-même.
Des questionnements sombres et profonds à ses heures, contrastant avec une histoire ludique, absurde, loufoque et irrésistible, dont le rythme tendu et virevoltant amuse constamment. C'est là tout le brio de cette oeuvre solaire à l'humour pétillant, dont le récit minimaliste, étrange et imprévisible, se plaît à l'extravagance, au mélange le plus fou, passant allègrement du polar décalé romanesque à la Kitano au surréaliste récit familial pince-sans-rire façon Kaurismäki.
Pour son premier long métrage, Erwan Le Duc ose trop en faire. Son film part ainsi dans tous les sens, débordant allègrement des cadres. C'est voulu et parfaitement assumé. Si Stéphane Lafleur refaisait The Royal Tenenbaums de Wes Anderson, cela ressemblerait sûrement à Perdrix. Il y a la sensibilité d'observation loufoque du premier et la vision cinématographique du second, où la mise en scène quasi géographique passe par de riches paysages, des cadrages élaborés et des couleurs vives.
Il fallait toutefois un réel talent d'écriture pour que l'équilibre tienne, pour que la farce ne prenne pas le dessus. Surtout en offrant, en guise d'introduction, un groupe de nudistes activistes et révolutionnaires qui multiplient les larcins! Cela n'empêche pas le réalisateur-scénariste de doser savamment ses effets, se voulant sincère, poétique et touchant plus souvent qu'autrement. Tout cela en grande partie grâce à ses excellents acteurs, parfaitement dans leur élément, dont les personnages complexes sont dessinés d'une plume sensible qui permet d'aller au plus près de leurs émotions.
Malgré quelques baisses de régime dans la seconde partie et une finale qui aurait pu être encore plus relevée, Perdrix réussit l'exploit de faire oublier le monde extérieur et de lover le spectateur dans un univers tendre et réconfortant. Il faudrait vraiment profiter de ce petit ovni, sans doute le plus charmant et unique de la saison estivale.